Jeudi matin, Gaël Monfils s’est montré solide à Melbourne en dominant en quatre sets Ivo Karlovic. À 40 ans, le géant croate de 2m11 n’a claqué «que» 17 aces face au Tricolore. Au troisième tour, ce dernier affrontera Ernests Gulbis, le prometteur Letton retombé bien loin au classement (256ème) et sorti des qualifications. De quoi penser que le 10ème joueur mondial a de bonnes chances de s’offrir un alléchant huitième face à Dominic Thiem (théoriquement). Voilà pour la bonne nouvelle dans le clan tricolore, car hormis Gaël Monfils, il n’y a plus un seul Français dans le tableau. Il est le palmier qui cache le désert tennistique hexagonal. Triste constat.
Chez les hommes, ils n’étaient déjà plus que cinq au deuxième tour à Melbourne. Il fallait remonter à 2005 pour trouver trace d’un bilan aussi faible. Déjà, un seul Français s’était qualifié pour le tour suivant, Jean-René Lisnard (qui jouera sous les couleurs de Monaco dès l’année suivante). Le plus mauvais résultat en Grand Chelem puisqu’il s’était à l’époque incliné dès ce fameux troisième tour. Depuis, un Français avait toujours réussi à inscrire son nom en seconde semaine d’un Majeur, une sorte de nouvel âge d’or qui, sans trois mastodontes des courts (Federer, Nadal et Djokovic), aurait peut-être débouché sur un nouveau titre en Grand Chelem pour le tennis tricolore. Mais ça, c’est une autre histoire.
Globalement, le tennis français n’est pas au mieux depuis quelques temps, mais il y avait toujours une tête bleue qui dépassait ici ou là pour cacher la misère. Lucas Pouille, Jo-Wilfried Tsonga et Richard Gasquet ont tour à tour atteint les quarts, voire les demi-finales d’un des quatre Majeurs. Les médias s’extasiaient alors sur les épopées fantastiques des cadres de cette France performante sur un fil. Gaël Monfils a lui aussi endossé ce rôle, à New York l’an passé notamment. C’est encore une fois la Monf’ qui, aujourd’hui, permet à la France d’être représentée ce week-end à Melbourne. Plus que la maigreur du contingent, c’est le constat d’impuissance qui interroge.
PAS DE MIRACLE
David Goffin, Marin Cilic, Nick Kyrgios, Guido Pella. Les joueurs qui ont fait tomber les Bleus ne sont pas des inconnus. Tous têtes de série (hormis Marin Cilic, blessé l’an passé, en plein retour), leur victoire pouvait relever, si ce n’est du miracle, de l’authentique exploit. Benoît Paire sera passé tout près face au vainqueur de l’US Open 2014, mais son mental lui aura encore joué des tours. Mené deux sets à rien, Pierre-Hugues Herbert aura poussé David Goffin dans un cinquième set décisif avant de rendre les armes, malgré un break d’avance dans l’ultime manche. Gilles Simon et Grégoire Barrère n’auront eux empoché qu’un seul set. Difficile de faire de réels reproches aux joueurs tricolores, et c’est d’ailleurs là tout le problème.
Ils étaient en-dessous. Pas très loin, ils n’ont pas été écrasés. Mais ils étaient plus faibles. Lucas Pouille blessé et forfait, Jo-Wilfried Tsonga contraint à l’abandon dès le premier tour, les principales têtes d’affiche françaises avaient disparu avant même que le tournoi ne soit véritablement lancé. Il fallait donc s’en remettre aux «seconds couteaux».
Capable du pire comme du meilleur, Benoît Paire peut pointer du doigt une programmation assez défavorable pour expliquer sa défaite, mais pour les autres, c’est simplement le niveau de jeu qu’il faut regarder. Gilles Simon n’a plus la fraîcheur de la décennie passée et ça se voit. Pierre-Hugues Herbert est un meilleur joueur de double que de simple (la paire Mahut-Herbert a d’ailleurs été sortie par… Benoît Paire et Simone Bolelli !), ce qu’un adversaire comme David Goffin ne laisse pas passer.
Grégoire Barrère, quant à lui, est encore en train d’apprendre et a besoin de temps pour prouver tout le potentiel qu’il laisse entrevoir. A l’image d’un Corentin Moutet et d’un Ugo Humbert (récent vainqueur du tournoi d’Auckland), il incarne cette nouvelle génération prometteuse à qui le terrain médiatique met déjà une pression énorme, alors laissons-les grandir. C’est l’une des raisons qui expliquent la faiblesse du tennis français à l’heure actuelle.
LE PASSAGE DE RELAIS
Certains arrivent en fin de carrière, d’autres n’en sont qu’au début. Entre les deux, le vide. Enfin, Lucas Pouille et le vide. Le début du XXIème siècle avait été marqué par le pléthorique contingent tricolore. Les Santoro, Clément, Grosjean et autres PHM faisaient vivre le tennis français et donnaient envie à une nouvelle génération. Seulement, la transmission semble s’être rompue entre les Monfils-Gasquet-Tsonga-Simon et les suivants. Lucas Pouille tente donc d’occuper tant bien que mal cet espace laissé vide, et avec lui tout un pays, ses fans et ses médias. Car quand on feuillette un peu les journaux, très vite on découvre le Pouille de 2016, quart de finaliste à Flushing en écartant un certain Rafael Nadal avant de s’incliner face à Gaël Monfils, encore lui.
Pendant trois ans, il a traîné cette performance comme un boulet, une promesse devenue une épée de Damoclès au-dessus de sa raquette. Désormais, il était attendu. À 22 ans à peine, le voilà devenu figure de proue d’une nouvelle génération tricolore qui gagne. Mais sans personne avec qui la partager, la pression a eu raison de lui. Nul doute que l’avènement progressif d’autres Français fera un bien fou au Nordiste. On en a déjà aperçu les bienfaits l’an passé, Lucas Pouille battant coup sur coup Borna Coric (12ème) et Milos Raonic (17ème) pour se hisser dans le dernier carré à Melbourne. Il avait alors trouvé Novak Djokovic sur son chemin, pour subir une mémorable fessée (seulement quatre jeux arrachés et une bulle encaissée dans le premier acte).
Le Français va maintenant devoir régler ses pépins physiques pour revenir sur le devant de la scène. Si cet Open d’Australie sonne comme un signal d’alarme sur l’état du tennis français (que la Fédération entendra peut-être, pour une fois), il est aussi l’occasion de se nourrir d’espoir pour l’avenir, sans pression c’est promis, car les cinq dernières années l’ont bien montré, le mieux est l’ennemi du bien. Mais cette nuit, on oublie toutes les stats, on tourne le dos à l’abysse.
Gaël, offre-nous le droit de rêver !