Chez Gaël Monfils, ce n’est pas la fièvre du samedi soir… mais du dimanche soir. Et pour cause, le Français gagne. Mieux que ça, il enchaîne ! Pendant deux semaines, Gaël Monfils est resté invaincu. Certes, il n’a pas remporté un tournoi du Grand Chelem, mais il a réussi quelque chose de triplement inédit dans sa carrière. Il a en effet non seulement conservé son titre à Rotterdam (le 10ème de sa carrière), mais il a également remporté deux tournois dans une même saison pour la première fois (Montpellier et Rotterdam), et même réussi à gagner deux tournois consécutifs en autant de semaines. Un enchaînement qui suscite le respect sur un circuit ATP où le niveau se ressert considérablement depuis trois ans. Pour quelqu’un qui n’aimait pas trop les dimanches (21 finales perdues sur 31), ça va beaucoup mieux depuis deux semaines !
Certes, il n’a battu aucun Top 20 sur sa route à Montpellier ou Rotterdam, son adversaire le mieux classé étant le jeune Québécois Félix Auger-Aliassime, 21ème mondial au moment d’affronter le trentenaire parisien aux Pays-Bas dimanche dernier. Mais tout de même, Gaël Monfils est beaucoup plus régulier depuis un an, et ça se voit clairement. Le Français semble parti pour rester dans le Top 10 un bon moment. Il arbore aujourd’hui le matricule n°9 au classement ATP, à égalité de points avec l’Italien Matteo Berrettini (2 860 points), et reste actuellement sur une belle série de neuf victoires consécutives. Série qu’il tentera de poursuivre à Dubaï la semaine prochaine avant d’essayer de confirmer sa bonne forme du moment outre-Atlantique avec l’exigeant combo Indian Wells-Miami.
SEULS DJOKOVIC ET THIEM FONT MIEUX EN 2020
Car si Gaël Monfils pointe aujourd’hui au troisième rang à la Race avec un bilan de 13 victoires pour deux petites défaites cette saison, il coince toujours face aux plus gros. Ironie du sort, les deux joueurs qui devancent la Monf’ à la Race ne sont autre que Dominic Thiem et Novak Djokovic, les deux finalistes de l’Open d’Australie qui sont aussi les deux seuls bourreaux du Français cette saison pour l’instant. Face à l’Autrichien, Monfils n’avait d’ailleurs pas existé lors du premier tournoi du Grand Chelem de la saison, le Tricolore étant balayé en trois petits sets à Melbourne (2-6, 4-6, 4-6).
Conscient de ses limites, la Monf’ a cependant annoncé la couleur en ce début d’année réussi : «Je voudrais atteindre une autre finale de Masters 1000, pourquoi pas en gagner un et continuer à rêver. Le rêve ultime, c’est de gagner un Grand Chelem, c’est pour ça que je joue et que je m’entraîne. C’est dur, mais je crois qu’un jour j’aurai peut-être la chance de le réaliser.» Des ambitions très élevées donc pour celui qui n’a jamais fait mieux que trois finales en Masters 1000 (Bercy en 2009 et 2010, et Monte-Carlo en 2016) et deux demi-finales en Grand Chelem (Roland-Garros en 2008 et US Open en 2016). Le défi est immense pour Gaël Monfils, mais aussi pour le tennis français, puisqu’il faut remonter à 2014 pour voir un Tricolore s’imposer en Masters 1000 (Jo-Wilfried Tsonga à Toronto en s’offrant Roger Federer en finale s’il vous plaît), et jusqu’en 1983 pour assister au sacre d’un Français en Grand Chelem. Et c’était Yannick Noah à Roland-Garros… Une autre époque.
LIAM SMITH, LA BOUSSOLE DE MONFILS
Gaël Monfils peut-il réaliser l’impossible cette saison en allant chercher un tournoi du Grand Chelem face au trio infernal Djokovic-Nadal-Federer, poursuivi par les jeunes loups affamés Thiem, Medvedev, Tsitsipas et Zverev ? On ne va pas se mentir, je ne vais pas mettre ma main à couper… mais sait-on jamais. Car si Gaël Monfils semble enfin avoir trouvé un équilibre dans sa vie de joueur de tennis, c’est en grande partie grâce à Liam Smith, coach américain qui accompagne la Monf’ depuis décembre 2018. Ce dernier est réputé sur le circuit puisqu’il a largement contribué à l’émergence de la génération très prometteuse du tennis australien, incarnée par Nick Kyrgios, Alex De Minaur, John Millman, Matthew Ebden et Jordan Thompson.
La méthode de Liam Smith est simple : l’exigence. «J’ai plus peur de mon coach que de ma meuf !», avait lâché, en rigolant, Gaël Monfils après sa victoire au troisième tour de Roland-Garros l’an passé. L’anecdote peut faire sourire mais elle révèle ce qu’apporte l’entraîneur américain au joueur français : de la constance. Bien sûr, apporter un cadre de travail ne suffit pas, il faut aussi corriger les lacunes dans le jeu du Parisien pour le faire progresser. Et pour Liam Smith, cela passe par une analyse très poussée des vidéos et des statistiques. Vous savez ce que l’on dit : les hommes mentent, pas les statistiques….
QU’IL EST LOIN LE MONFILS QUI SE COMPLIQUAIT LA VIE…
Avec cette approche, Gaël Monfils ne rentre plus sur le court en mode «Harlem Globetrotters» (malgré quelques facéties pour amuser la galerie…), mais avec un plan de jeu bien précis, une tactique à appliquer pour faire déjouer son adversaire et se rendre la vie moins compliquée. Car la Monf’ a longtemps été adepte du «Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?» Je me souviens d’ailleurs d’un match complètement fou disputé par le Français à Roland-Garros. C’était en 2015 contre Pablo Cuevas, et il avait livré un match dont lui seul a le secret…
Soufflé par ce match en cinq sets qui avait finalement tourné à l’avantage de Monfils, Laurent Vergne avait parfaitement résumé le sentiment général sur Eurosport à l’issue de cette rencontre : «Il n’y a que lui pour se coller dans des situations pareilles. Pour se compliquer la vie au-delà du raisonnable. Pour donner l’impression d’être inerte, avant de se déchaîner. Monfils, c’est un volcan dont la fréquence des passages de l’endormissement à l’éruption (et inversement) est unique dans le tennis professionnel. Il n’a probablement pas fait la carrière qu’il aurait pu. Il n’a pas le palmarès qu’il devrait avoir. Mais il est unique et ça, personne ne pourra lui enlever. Monfils, c’est le type qui, au bord du précipice, tombe dedans et arrive à remonter tout seul, sans corde. On ne sait pas comment. Mais il le fait.»
Loin de la folie de ce show unique en son genre sur la terre battue parisienne, Gaël Monfils a été plus «clinique» à Montpellier puis Rotterdam. Dans les colonnes de L’Équipe, Gilles Simon, battu par la Monf’ à Rotterdam, analysait la réussite actuelle de son compatriote de la manière suivante : «Je trouve que Gaël (Monfils) est très concentré, mais ce n’est pas fou non plus et c’est ça qui est impressionnant. J’ai regardé sa finale : il la met dans le terrain, il bouge bien, il la met dans le terrain, il bouge bien… Quand je l’ai joué, il la mettait dans le terrain, il bougeait bien. Et voilà. C’est plus le niveau de concentration qu’il arrive à tenir qui fait la différence : comme il est en confiance, tous les points importants tombent pour lui. Et il a eu aussi eu des joueurs qui lui vont bien. Si son jeu marche aussi bien en ce moment en indoor, c’est que les durs sont extrêmement lents et il est absolument indébordable.»
IL EST TEMPS DE PASSER À L’OFFENSIVE !
Avec 750 points engrangés en deux tournois, Gaël Monfils a fait le plein de confiance et peut viser plus haut, comme il l’appelle de ses vœux. C’est possible, à condition d’arrêter de rester trois mètres derrière sa ligne en fond de court… Sans quoi, ce sera une correction assurée face à un top-player. Il faut d’ailleurs remonter au tournoi de Dubaï il y a un an pour trouver trace d’un succès de la Monf’ contre un Top 10. C’était contre Marin Cilic, qui n’a été que l’ombre de lui-même les mois suivants. Bonne nouvelle cependant, il perd de plus en plus rarement contre des joueurs moins bien classés que lui. S’il parvient à atteindre le Top 5, cela pourrait devenir particulièrement intéressant…
Pour être dans le coup face aux meilleurs joueurs du monde, et plus encore contre le fameux «Big 3», il faudra éteindre le mode défensif, pour ne pas dire passif, pour passer à l’attaque. «Son niveau physique doit lui permettre d’être plus agressif, pas seulement d’être un joueur défensif», assurait d’ailleurs Liam Smith auprès du Parisien l’an passé. Gaël Monfils ne peut pas devenir Stefan Edberg du jour au lendemain, mais venir un peu plus au filet pourrait lui apporter de nouvelles solutions pour se sortir d’un mauvais pas. Mais pour ça, il faut arrêter d’être scotché derrière sa ligne. Mal récurrent dans le tennis français, n’est-ce pas Richard Gasquet ?
Être plus offensif est une condition sine qua non pour le Français s’il veut se laisser une chance d’exister face à des joueurs qui peuvent tuer tout espoir de victoire dans l’œuf. Dès que Roger Federer prend l’échange à son compte et joue en cadence, impossible d’envisager la victoire. Même constat quand Rafael Nadal commence à dégainer son incroyable coup droit lasso et se met à enchaîner les passings. Et ce n’est guère mieux face à un Novak Djokovic qui est le meilleur relanceur du monde, capable de ramener n’importe quelle balle et de faire jouer en permanence le coup de trop à son adversaire.
En attendant, tout va pour le mieux pour Gaël Monfils. Côté terrain, son physique ne flanche pas et les résultats sont au rendez-vous. Côté cœur, il semble très heureux dans les bras d’Elina Svitolina. Plus serein qu’il ne l’a probablement jamais été dans toute sa carrière, Gaël Monfils aborde la dernière ligne droite avant la tournée américaine dans les meilleures conditions. A 33 ans, est-ce l’âge d’or de Monfils ? C’est en tout cas l’âge de la maturité. Après deux semaines couronnées de succès, tout porte à croire que le Français connaîtra d’autres dimanches encore plus radieux cette année… Juste comme ça, la finale de Roland-Garros, c’est le dimanche 7 juin.