Quand vous ouvrez un Kinder Surprise, vous ne savez jamais sur quoi vous allez tomber. A Miami, ce fut la même chose pour Pâques. Car si Miami rime avec pandémie, cela ne rime pas forcément avec ennui. Et si le premier Masters 1000 de la saison a été victime d’une véritable hécatombe avant même son coup d’envoi avec l’absence en Floride de la moitié du Top 10 du classement ATP, et même d’un tiers du Top 30, il n’a pas été avare en rebondissements. Ainsi, si la finale du tournoi féminin a donné lieu à une affiche alléchante, et pas forcément surprenante, entre Ashleigh Barty, la patronne du circuit WTA, et Bianca Andreescu, star du tennis canadien qui revient à son meilleur niveau après de nombreux mois de galères à cause de blessures, que dire de celle du tournoi masculin…
En effet, il fallait être un sacré visionnaire ou un gros chanceux pour parier sur une finale entre Jannik Sinner et Hubert Hurkacz. Certes, ces deux joueurs ne sont pas des inconnus au bataillon. Loin de là… Mais tout de même, on ne les attendait pas à un tel niveau à Miami. Les conditions dans lesquelles a été disputé le tournoi floridien étaient très particulières, et ce sont eux qui se sont le mieux adaptés à ce contexte spécial. Et tant pis si ce ne sont pas les autres favoris qui ont su tirer profit de la situation !
QUAND LES CHATS DU «BIG 3» NE SONT PAS LÀ, LES SOURIS NE DANSENT PAS FORCÉMENT
Pourtant, avec les forfaits du «Big 3» (Federer, Nadal et Djokovic) et de joueurs comme Dominic Thiem, Matteo Berrettini ou encore Stan Wawrinka, Daniil Medvedev, l’homme qui est parvenu à chiper une deuxième place mondiale verrouillée depuis plus de 15 ans par le «Big 4», Stefanos Tsitsipas, Alexander Zverev et Andrey Rublev tenaient là une opportunité en or pour élargir leur palmarès en Floride. Mais l’Allemand s’est pris les pieds dans le tapis dès son entrée en lice en se sabordant de manière spectaculaire contre Emil Ruusuvuori, modeste 83ème mondial, ce qui a mis encore plus de pression sur les épaules des trois autres favoris.
Rapidement, on a vu que ce serait compliqué pour Medvedev, qui a terminé son match contre Alexei Popyrin dans la douleur à cause de crampes. Le Russe a donc logiquement pris la porte lors de son quart de finale contre Roberto Bautista Agut. Il ne restait plus alors que Tsitsipas et Rublev parmi les quatre premières têtes de série en lice. Mais le Grec, qui a apparemment enfreint le protocole Covid-19 de l’ATP en quittant la «bulle» autour du tournoi, est également passé à la trappe au stade des quarts de finale contre Hubert Hurkacz, futur vainqueur de l’épreuve. La pression est donc devenue maximale sur les épaules d’Andrey Rublev, qui avait jusque-là cartonné en ATP 500 mais n’était encore jamais parvenu à briller en Masters 1000.
KORDA ET HURKACZ, COUPEURS DE TÊTES À MIAMI
Pour atteindre le dernier carré, le Russe devait battre Sebastian Korda, un sacré client. Et pour cause, si le jeune Américain d’origine tchèque, fils de Petr Korda, ancien vainqueur de l’Open d’Australie en 1998, n’était que 87ème mondial au moment de débuter le Masters 1000 de Miami, il a démontré qu’il avait un potentiel bien plus élevé que son classement actuel. En Floride, il a ainsi réalisé un sacré numéro en se muant en coupeur de têtes. Fabio Fognini, Diego Schwartzman et Aslan Karatsev, la révélation de ce début de saison (demi-finale à l’Open d’Australie et titre à Dubaï), ont été victimes des assauts de cette étoile montante du tennis masculin.
Mais Andrey Rublev a su contenir la fougue de Korda pour atteindre les demi-finales et s’affirmer comme l’ultra-favori à la victoire finale à Miami. Et pour cause, Roberto Bautista Agut, Jannik Sinner et Hubert Hurkacz complétaient le dernier carré. Mais contre toute attente, Rublev a bu la tasse contre un Hubert Hurkaz d’une sérénité absolue. Le Polonais, qui avait auparavant fait un sacré ménage dans le tableau en sortant Shapovalov, Raonic et Tsitsipas, a éliminé le Russe en deux manches sèches pour s’offrir la première finale de Masters 1000 de sa carrière. Et pour que la surprise soit totale jusqu’au bout dans le tournoi, Jannik Sinner, pépite du tennis italien qui ne cesse de griller les étapes dans sa trajectoire fulgurante, a sorti de son côté Roberto Bautista Agut en trois sets, et avec la manière. L’Italien a effacé un break de retard dans la troisième manche et glané cinq des six derniers jeux de la rencontre ! Rien que ça.
POSPISIL, L’ILLUSTRATION DE JOUEURS À FLEUR DE PEAU
Tout au long de leur séjour floridien, Sinner et Hurkacz ont fait preuve d’un calme olympien et d’une sérénité déconcertante, malgré le contexte. Car avec la pandémie de Covid-19 et toutes les restrictions qui en découlent, de nombreux joueurs sont à fleur de peau. Et cela se voit sur le terrain, soit dans l’implication dans leurs matches (coucou Benoît Paire), soit dans leurs craquages… Et à Miami, la meilleure illustration fut l’incroyable dérapage de Vasek Pospisil. Alors évidemment, on savait déjà que le Canadien, souvent surnommé «le syndicaliste» du circuit, était en froid avec la direction de l’ATP depuis qu’il a créé une nouvelle association de joueurs, la Professional Tennis Players Association (PTPA), avec Novak Djokovic à la fin de l’été 2020.
Mais lors de son entrée en lice à Miami, le Canadien a littéralement pété les plombs pour dire tout le bien qu’il pense d’Andrea Gaudenzi, le patron de l’ATP. Après avoir concédé la première manche contre Mackenzie McDonald sur un point de pénalité pour propos injurieux, il avait vidé son sac auprès d’Arnaud Gabas, l’arbitre de la rencontre, qui l’interrogeait sur l’objet de sa colère : «Le président de l’ATP m’a hurlé dessus pendant 1h30 hier lors d’une réunion des joueurs. Pendant 1h30, le patron de l’ATP ! Amène-le ici. Quel putain de connard !» Et de conclure en beauté : «Si tu as envie de me disqualifier, vas-y, j’attaquerai cette organisation avec plaisir !»
Pas de disqualification mais une défaite en trois sets (6-3, 4-6, 6-3) et des excuses de Pospisil quelques heures plus tard. Toujours est-il que le mal était fait… Mais cette sortie de route du Canadien souligne à quel point les nerfs des joueurs sont mis à rude épreuve en ce moment. Tests Covid au quotidien, bulles sanitaires et même quarantaines parfois, entourage restreint… La vie du circuit à l’heure de la pandémie, ce n’est pas très drôle. Surtout que le prize-money des tournois est en chute libre avec une billetterie quasiment inexistante (il y avait du public à Miami mais la jauge était très faible) et des sponsors assez frileux.
HURKACZ (PRESQUE) IMPÉRIAL EN FINALE
Pendant que certains perdaient leurs nerfs, Hubert Hurkacz et Jannik Sinner ont tracé leur route. Bien leur en a pris. Et à la fin, c’est le Polonais qui a raflé la mise contre un Italien qui a trop arrosé le court tout au long de la finale et pris un mauvais départ dans chaque set. Mené 3-0 dans la première manche, puis 4-0 dans le deuxième set, Sinner s’est rapidement compliqué la tâche dans cette finale. Malgré tout, l’Italien n’est pas passé loin du coup parfait dans la manche inaugurale en revenant au score avant de servir pour le set. Mais un jeu de service complètement raté a permis à Hurkacz d’arracher un tie-break, qu’il ne s’est pas privé d’empocher.
Sur sa lancée, le Polonais, presque comme un vieux briscard habitué aux finales, a remporté les quatre premiers jeux du deuxième set, scellant pratiquement sa victoire. Pratiquement mais pas totalement car le Transalpin s’est réveillé dos au mur pour revenir au contact de son adversaire, qui est par ailleurs son ami sur le circuit. Mais sentant le souffle de Sinner dans son cou, Hurkacz est cependant parvenu à résister au retour de l’Italien pour s’imposer en deux sets (7-6, 6-4) et ainsi remporter le plus beau titre de sa carrière à 24 ans. Il intègre au passage le cercle des vainqueurs de Masters 1000.
Pour Sinner, qui n’a que 19 ans, ce n’est que partie remise…
TOUT LE MONDE NE BOIT PAS LA PRESSION COMME LE «BIG 3»
Le Polonais aura un peu tremblé sur la fin, en voyant son adversaire revenir fort dans la partie. Comme un rappel que Djokovic, Federer et Nadal ne sont pas faits du même bois que les autres et que tout le monde ne boit pas la pression comme eux. On en avait déjà eu un aperçu en finale de l’US Open, avec Thiem et Zverev devenus quasiment paralysés devant un titre du Grand Chelem qui leur tendait les bras. Puis Novak Djokovic avait imposé sa loi avec une facilité éblouissante en finale de l’Open d’Australie, redonnant l’impression qu’il était facile de s’imposer quand on est le favori. Mais le Masters 1000 de Miami a servi de piqûre de rappel avec la défaillance de toutes les têtes d’affiche et la victoire surprise de Hurkacz.
Désormais, place à la saison sur terre battue et à de nouvelles surprises ? La pandémie de Covid-19 est encore loin d’être terminée, malgré une campagne de vaccination qui s’intensifie dans le monde, et le circuit doit encore vivre plusieurs mois sous un régime de restrictions. Dans ce contexte, il n’est pas impossible qu’il y ait de plus en plus de joueurs en perdition sur le plan mental et la hiérarchie de l’ATP pourrait bien être bouleversée dans les prochains mois (Hurkacz est désormais 16ème mondial et Sinner 23ème) avant que le monde et le circuit ne retrouvent une vie plus normale. Miami pourrait être le premier Kinder Surprise d’une longue série en 2021.