Comme le garçon qui criait au loup, les journalistes de la planète tennis n’ont cessé de crier haut et fort l’avènement d’untel ou untel, venant semer le trouble dans le «Big 3». Comme le garçon qui criait au loup, ils se sont (toujours ?) trompés. Et si, cette année, il fallait y croire? Il y a des raisons d’espérer.
Andy Murray, bien longtemps, a fait partie d’une espèce rare. Stan Wawrinka y aura prétendu. Marin Cilic aura essayé. Juan Martin Del Potro, sans un corps défaillant, aurait certainement pu se mêler à la lutte. Mais ils sont bien seuls à avoir su faire tomber un trio hors du commun. C’est bien simple, depuis 2006, Roger Federer, Rafael Nadal et Novak Djokovic n’ont laissé que des miettes à leurs adversaires : 8 tournois du Grand Chelem. Sur 56. Des chiffres monstrueux qui en disent long sur la domination d’un cerbère tétanisant pour le circuit mondial, à commencer par Tomas Berdych, David Goffin et Grigor Dimitrov. Ils font partie de cette catégorie de joueurs qui, sans Nadal, Djokovic et Federer, auraient sans doute un palmarès bien plus étoffé.
Tous les joueurs cités ont, un à un, fait office de figure de proue des «autres». Ces bons joueurs, très bons même, dont la carrière a finalement été éclipsée. Pourtant, ils ont tous été élevés au rang de potentiel danger pour le «Big 3». Grigor Dimitrov, «Baby Fed», en est l’exemple criant. Il a très jeune été comparé à Roger Federer, sans jamais pouvoir assumer son statut de jeune prometteur. Qui sait ce qu’aurait pu donner la carrière de Fernando Verdasco s’il avait battu Rafael Nadal en demi-finale de l’Open d’Australie 2009 ? Combien de titres majeurs aurait pu soulever Juan Martin Del Potro sans ses blessures à répétition ? Quid de Jo-Wilfried Tsonga s’il avait soulevé le premier Grand Chelem de la saison 2008 ? Le tennis aurait pu être bien différent. Et c’est peut-être là que réside toute la beauté des exploits accomplis pendant quinze ans par Rodger, Rafa et Djoko. Mais cette histoire appartient-elle désormais au passé ? La horde de jeunes affamés compte bien mettre le trio au fond d’un tiroir.
LES JEUNES POUSSES VEULENT FAIRE DE L’OMBRE
«C’est ennuyant de voir ces gars-là gagner tout le temps. Je sens que je peux les battre.» La déclaration est signée du Grec Stefanos Tsitsipas, le 17 juin dernier. Une semaine après le douzième sacre de l’ogre terrien Rafael Nadal dans son jardin parisien, un des leaders de la nouvelle génération est monté au créneau. Fini la peur, le sentiment d’infériorité constant face aux monstres. Tombeur de Roger Federer lors des huitièmes de finale de l’Open d’Australie l’an passé, le jeune Grec d’à peine 20 ans avait dû rendre les armes après un combat épique, au même stade de la compétition, face à Stan Wawrinka à Roland-Garros. S’il passera à côté de son été avec une élimination dès le premier tour sur le gazon londonien de Wimbledon comme sur le ciment de l’US Open à New York, sa fin de saison sera marquée par une éclatante victoire au Masters, réunissant les huit meilleurs joueurs de la saison.
De quoi supposer que le Grec de 21 ans, 6ème mondial, a les moyens de mettre sa menace à exécution. Mais il ne sera peut-être pas le premier, car d’autres frappent à la porte, et de belle manière. Si l’on peut raisonnablement penser qu’il est encore un peu tôt pour Alex de Minaur, Félix Auger-Aliassime ou Andrey Rublev, le chrono tourne déjà depuis quelques années pour Alexander Zverev et Dominic Thiem. Ils semblent déjà promis à un avenir comparable à la génération Goffin/Dimitrov s’ils ne débloquent pas leur compteur très rapidement. L’Autrichien fait figure de favori pour succéder à Rafael Nadal porte d’Auteuil. L’Allemand, en revanche, incapable de dépasser les quarts de finale en Grand Chelem, aura fort à faire pour prendre le meilleur sur une flopée de prétendants sur dur. Et peut-être un plus que les autres.
ET SI C’ÉTAIT LUI ?
Il est Russe, a 23 ans et a connu une année 2019 tonitruante. De tous les hommes désireux de soulever le trophée le 2 février prochain, Daniil Medvedev est peut-être le mieux armé. Son explosion au plus haut niveau, l’an passé, a d’ailleurs commencé lors de l’Open d’Australie. Une défaite en huitièmes de finale, en quatre manches, face à Novak Djokovic, exposait l’étendue de son talent mais aussi certaines limites. Des limites qu’il affichera tout au long du printemps, alternant le bon (vainqueur à Sofia, demi-finaliste à Monte-Carlo et finaliste à Barcelone) et le moins bon (sorti au troisième tour d’Indian Wells par Krajinovic, d’entrée à Roland-Garros et au troisième tour à Wimbledon).
C’est au début de l’été que le Russe de près de deux mètres s’est révélé, enchaînant des finales perdues à Washington et à Montréal avant de s’imposer à Cincinnati. A l’US Open, sa relation avec la foule a rendu le tournoi très spécial. Encore plus quand, après un combat épique de près de cinq heures, le public américain l’accueille parmi les grands, malgré sa défaite. Cette nuit-là, le come-back de l’année n’est passé qu’à un souffle. Lundi, Medvedev sera tête de série n°4 à Melbourne avec une réelle chance d’aller au bout. Et si ce n’est pas dès l’Australie, New York l’attendra certainement de pied ferme. Mais avant l’US Open, le circuit fera une pause olympique à Tokyo.
LES JO, COMME UNE TOURNÉE D’ADIEU ?
Tous les sportifs ont déjà rêvé de se parer d’or lors du plus grand rassemblement de la planète. Roger Federer peut-être encore plus que les autres. À presque 39 ans, le Suisse n’a jamais pu arborer le plus beau métal en simple. Lui qui a tout gagné, battu tous les plus grands, emmené les statistiques dans des horizons jusqu’alors inconnus, a annoncé très tôt sa participation au seul tournoi qui manque à son tableau de chasse. Comme un point noir dans un palmarès plus que brillant, la tête de série n°3 à Melbourne aura à coeur d’avoir l’or autour du cou au mois d’août prochain. Avant de raccrocher ? Quelle plus belle sortie que de laisser la raquette au vestiaire après être monté sur la plus haute marche du podium. Même s’il n’est pas dit que «Rodgeur» mettra un terme à sa carrière en cas de victoire, il faut considérer cette possibilité.
Le «Big 3» amputé d’un de ses membres, une place supplémentaire serait offerte à la meute affamée qui poursuit Djokovic et Nadal. Une chance de plus de les faire chuter. Sans compter que, aux vues des saisons toujours plus longues et des tournois toujours plus relevés, la fraîcheur physique pourrait donner aux jeunes un avantage certain. Les signes, mis bout à bout, dessinent cette année 2020 comme celle de la passation de pouvoir. L’année où le trio infernal rentrera dans le rang au profit d’une hydre, dont il n’est pas encore possible de déterminer le nombre de têtes. Mais tout cela, on l’entend depuis cinq ans, tout le monde l’a déjà dit.
Alors au lieu de crier au loup, regardons faire la meute.