Lorsque Rafael Nadal et Novak Djokovic ont fait leur apparition sur le court Philippe-Chatrier ce dimanche 11 octobre, personne (ou presque) n’imaginait ce qui allait se produire dans cette finale tant attendue. Depuis vendredi et les demi-finales, les observateurs de la petite balle jaune prédisaient une énorme bataille, dure, indécise, éreintante, interminable.

Il faut dire qu’avec Novak Djokovic, en sa qualité de meilleur joueur du monde de la dernière décennie, et Rafael Nadal, meilleur joueur de l’histoire sur terre battue, qui ont pris l’habitude de s’écharper sur les courts du monde entier, ces attentes étaient bien légitimes. Mais contre toute attente, l’Espagnol les a balayées sèchement d’un revers à deux mains. Le «Djoker» pouvait s’attendre à tomber sur un roc, il est tombé sur un mur infranchissable, impossible à déborder.

TOIT OU PAS, CELA N’AURAIT RIEN CHANGÉ

Pourtant, les conditions semblaient taillées pour Djokovic. En octobre, la terre est bien plus lourde qu’en juin, ce qui engendre des rebonds moins hauts et donc un lift de Nadal qui gicle beaucoup moins. Mais surtout, la fermeture du toit quelques minutes avant l’entrée des deux hommes sur le court donnait sur le papier un avantage au Serbe, qui apprécie particulièrement les conditions «indoor». Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce dernier se sent si bien dans l’Est parisien avec cinq victoires au Masters de Paris-Bercy. Mais ces indicateurs théoriques en faveur du n°1 mondial ont rapidement volé en éclats. La faute à un Rafael Nadal déchaîné qui a proposé une équation insoluble à celui qu’il affrontait pour la 56ème fois sur le circuit.

Dès les premiers échanges, le taureau de Manacor a en effet pris Djokovic à la gorge, ne lui laissant aucun répit pour rentrer dans la partie. Ajoutez à cela un service en berne et des choix hasardeux, comme ces amorties arrivant trop tôt dans l’échange, et le Serbe a tout de suite bu la tasse dans cette finale. Mais réduire cette entrée en matière difficile aux seules erreurs de Djokovic ne serait pas rendre justice à la performance majuscule du maître des lieux. Car d’entrée de jeu, Nadal a été exceptionnel, refusant de reculer derrière sa ligne de fond et variant énormément ses coups pour manger le cerveau du Serbe. Pari payant.

Agressé en permanence, Djokovic s’est retrouvé dans les cordes dès l’entame de la finale. Pour le vainqueur de l’édition 2016, l’addition a été très salée à l’issue du premier set avec un terrible 6-0 reçu en pleine tête. Que le Serbe se rassure cependant, Roger Federer avait vécu une expérience aussi amère en 2008 avec une «bulle» reçue dans le troisième set de sa rouste historique contre Nadal lors de la finale de l’édition 2008 (6-1, 6-3, 6-0).

UN ACE POUR REJOINDRE FEDERER

Sonné par la brutalité de ce début de finale, le «Djoker» n’est parvenu à inscrire son premier jeu de la partie qu’au bout de 54 minutes… Une éternité. Poursuivant son entreprise de démolition, Nadal a continué de d’écœurer Djokovic dans le deuxième set en faisant la démonstration de toute sa palette technique. Accélérations de coup droit, revers croisés, slices, amorties… Nadal a réalisé une véritable masterclass. L’Espagnol a également exploité à merveille la géométrie du terrain. C’est à se demander s’il n’a pas construit lui-même le court Philippe-Chatrier… Après 1h35 de jeu, le score était net et sans bavure en faveur du Majorquin : 6-0, 6-2.

La troisième manche semblait partie sur les mêmes bases que les deux premières quand Nadal a breaké blanc Djokovic, toujours aussi fantômatique. Mais le Serbe a semblé enfin sortir de sa torpeur dans la foulée en parvenant à prendre le service de son adversaire pour la première fois du match. Cela valait bien un énorme cri de rage du «Djoker» pour donner enfin de l’intérêt à une bien pâle finale de Grand Chelem… Mais ce n’était que repousser l’inéluctable.

Après quelques minutes où l’idée d’une éventuelle remontée fantastique du patron du circuit a commencé à germer dans les esprits, Nadal a douché tous les espoirs du Serbe qui a offert le break de trop à l’Espagnol sur une double-faute… Menant alors 6-5 dans le troisième set, le Majorquin ne s’est pas privé pour conclure son récital (6-0, 6-2, 7-5). Sur un ace, comme en a souvent l’habitude son grand ami et rival, Roger Federer, qu’il rejoint en tête de la course en Grand Chelem, avec un 20ème sacre Majeur, son 13ème dans son jardin de la Porte d’Auteuil où il a glané dimanche sa 100ème victoire. Unique, historique, fantastique.

«RAFA A PROUVÉ QUE TOUT LE MONDE AVAIT TORT»

Sur un nuage dimanche, Rafael Nadal n’a laissé aucune chance à Novak Djokovic, poussant ce dernier à jouer systématiquement un coup de plus, un coup de trop bien souvent. Avec 52 fautes directes (contre 14 pour Nadal) et seulement cinq balles de break obtenues (contre 18 pour Nadal), le Serbe ne pouvait pas espérer une autre issue. Le temps automnal et le toit n’y ont rien changé. Nadal à Roland-Garros, cela reste un Everest à gravir. Encore plus en finale. «Rafa a prouvé que tout le monde avait tort», a justement analysé le n°1 mondial après la rencontre. Tout le monde, et surtout Goran Ivanisevic qui a déclaré il y a quelques jours : «Nadal n’a aucune chance de gagner dans de telles conditions. Et avec Novak qui lui est entré dans la tête. Je me jette, mais je pense que Novak est le favori n°1 de Roland-Garros.» Un sans-faute dans l’erreur.

Pourtant, au regard des parcours des deux finalistes, la victoire de Nadal apparaît plus que logique. Là où Djokovic a perdu de l’énergie avant la finale, contre Pablo Carreño Busta lors d’un match où les fantômes de Flushing Meadows rôdaient sur le court Philippe-Chatrier, puis face à un vaillant Stefanos Tsitsipas qui avait remonté un handicap de deux manches à rien pour pousser le Serbe au cinquième set, Nadal, lui, est monté tranquillement en puissance dans le tournoi. Sa demi-finale contre un Diego Schwartzman accrocheur a même servi de préparation idéale. Djokovic a pu le constater.

NADAL PLUS FORT QUE LES ÉLÉMENTS

Si le Majorquin n’avait que trois matches dans les jambes avant de débarquer à Paris, quand Djokovic avait disputé la tournée américaine et remporté le titre à Rome, il avait déclaré après sa défaite contre ce même Schwartzman dans la capitale romaine qu’il allait se remettre tout de suite au travail pour corriger ses erreurs. Et à l’évidence, le travail a été très bien fait. Rétrospectivement, ce revers italien a apporté quelques vertus au Majorquin. «Les doutes, c’est bien, cela veut dire que vous ne vous considérez pas comme trop bon», a déclaré Nadal, un brin philosophe, après son sacre ce dimanche.

Voilà l’Espagnol au même niveau que Federer avec 20 titres du Grand Chelem, quand Djokovic voit son compteur bloqué à 17. Peut-être que le Serbe dépassera les deux hommes un jour, mais pour l’heure, Nadal peut savourer sa victoire dans un Roland-Garros qui aurait pu être annulé à cause de la pandémie de coronavirus. Un Roland qui avait en plus bouleversé la plupart de ses repères avec un nouveau toit, de nouvelles balles et de nouvelles conditions de jeu. Mais cela n’a pas empêché le Majorquin de remporter le tournoi en ne perdant aucun set, comme il l’avait fait auparavant en 2008, 2010 et 2017. Il a même réalisé un authentique exploit ce dimanche en devenant le premier joueur à battre le n°1 mondial à la régulière en 2020. Rafael est resté Nadal.

Finalement, le monde d’après ressemble beaucoup au monde d’avant.