Quand Novak Djokovic et Rafael Nadal s’affrontent, plus encore en Grand Chelem, on sait toujours qu’il va se passer quelque chose. Attendu depuis le tirage au sort, le duel entre le Serbe et l’Espagnol promettait de faire des étincelles sur la terre battue de Roland-Garros. Ce fut encore plus fort. Secouée par des points d’extraterrestres, la terre a littéralement pris feu. Durant plus de quatre heures, les deux légendes ont offert un spectacle hors du commun dans une ambiance nouvelle pour le court Philippe-Chatrier. Une ambiance électrique propre à la night-session.
Car en lançant les demi-finales à 15h, les organisateurs savaient parfaitement qu’ils jouaient avec le feu. Et pour ne rien arranger, Stefanos Tsitsipas et Alexander Zverev ont eu besoin de cinq sets pour se départager. On n’en voudra pas au Grec et à l’Allemand qui ont offert un joli spectacle au public du Central. Mais ce dernier, comme nous tous, attendait le choc du tournoi… Il est 19h quand les deux gladiateurs entrent dans l’arène. Ils ont environ 3h30 devant eux pour finir avant le couvre-feu de 23h qui engendrerait l’évacuation du stade. Pas impossible mais pas très probable non plus.
Pourtant, quand Rafael Nadal s’envole dans la première manche, au point de mener 5-0, le spectre de la finale 2020, lors de laquelle il avait roulé sur le «Djoker» avec une bulle inaugurale, plane lourdement au-dessus de Roland-Garros. Mais loin de sa nervosité évidente il y a huit mois, Djokovic se réveille et revient dans la partie. Et même si l’ogre majorquin a fini par remporter ce premier set, on comprend rapidement que les choses vont être bien plus difficiles que l’an passé pour le maître des lieux. Le réveil du Serbe se confirme dans la deuxième manche, et dès la fin de celle-ci, les deux joueurs commencent à multiplier des points complètement dingues…
Le public du Chatrier le sent, le récital approche.
UN TROISIÈME SET «COSMIQUE»
Que dire de ce troisième set délirant ? Un chef-d’œuvre, une dinguerie… une baston surtout. Car face à un Djokovic qui n’en finit plus d’élever son niveau de jeu, Nadal ne lâche absolument rien. Il se bat comme un lion. Les deux joueurs décident de tout lâcher. Chaque point est un combat à mort. Ça cogne, ça caresse les lignes, ça redessine la géométrie du court. Les échanges sont stupéfiants, les angles trouvés sont délirants, les coups incroyables sont sidérants… C’est beau, c’est magnifique… et putain, qu’est-ce que c’est brutal !
D’une certaine manière, ce troisième set de légende (difficile de l’appeler autrement) m’a rappelé leur finale de l’US Open en 2011. Il y a dix ans à New York, Nadal et Djokovic avaient donné naissance au «cosmic tennis». Dans une ambiance survoltée, les deux champions s’étaient rendus coup pour coup avec une violence inouïe. Dans les cordes, l’Espagnol s’en était remis à sa grinta légendaire pour aller chercher la troisième manche dans cette finale unique en son genre à Flushing Meadows. Mais sur la terre battue de Roland-Garros, et malgré deux breaks de retard effacés, le Majorquin a cette fois perdu cette troisième manche au tie-break.
Abasourdi devant mon écran devant une telle bagarre, je comprends qu’il se passe quelque chose d’historique, encore jamais-vu Porte d’Auteuil. Car la nuit a cet incroyable pouvoir de sublimer un chef-d’œuvre. Elle a conféré à cette baston de légende un caractère spécial, unique, dramatique, magique. Car s’ils n’étaient que 5 000 méga-chanceux à suivre cette rencontre depuis les tribunes du Chatrier, ils ont foutu un sacré boucan tout au long de la partie. L’esprit de la Coupe Davis était là ce vendredi soir sur le Chatrier, devenu un volcan qui ne demandait qu’à exploser. Sauf qu’au moment où Novak Djokovic a pris les commandes de la partie, la réalité du Covid-19 a bien failli tout foutre en l’air. Et pour cause, le couvre-feu était tout proche.
«MERCI MACRON !»
Mais bien avant l’heure fatidique, peu après 22h, les spectateurs commençaient déjà à chanter «On s’en ira pas !», et on ne peut que les comprendre… Il était hors de question de rater le dénouement d’un match de légende. Qui imagine être invité à quitter une salle de cinéma 20 minutes avant la fin d’un film ? Et vu l’état d’excitation des 5 000 privilégiés, bon courage pour les sortir… Ça pourrait vite tourner à l’émeute ! Et à trois ans des Jeux Olympiques de Paris, l’image ferait tâche. Mais visiblement, la magie de cette nuit historique à Roland-Garros s’est propagée jusqu’à l’Élysée et Matignon, puisqu’après la fin du troisième set, Marc Maury, le speaker, a annoncé que les spectateurs pourraient rester jusqu’à la fin de cette demi-finale d’anthologie. Immense soulagement, hystérie générale ! S’en suit plusieurs minutes de grand n’importe quoi entre Marseillaise chantée par le public pour célébrer cette dérogation et des «Merci Macron !» ou même des «Forget président !» entendus depuis les tribunes. C’était beau, c’était improbable, c’était fort !
L’euphorie était bien partie pour se prolonger quand Rafael Nadal a fait le break dès l’entame de la quatrième manche, mais c’était le chant du cygne… Touché mentalement et physiquement, l’Espagnol n’en pouvait plus. Insubmersible, Novak Djokovic a glané les six derniers jeux d’une partie de légende pour réaliser un exploit hors du commun : battre le meilleur joueur de l’histoire sur terre battue au meilleur des cinq sets après avoir perdu la première manche. C’est aussi le premier homme de l’histoire à battre le Majorquin dans une demi-finale à Roland-Garros. Colossal, monumental, historique.
Quand le «Djoker» avait battu pour la première fois Nadal à Roland-Garros en 2015, c’était fort. Mais ce vendredi 11 juin 2021, c’était une autre dimension… «C’est clairement mon plus grand match à Roland-Garros et dans le Top 3 des plus grands matches de ma carrière», dira le Serbe après ce combat épique. Personne ne le contredira. Rafael Nadal a été magnifique, mais Novak Djokovic était tout simplement stratosphérique. Les deux légendes ont disputé l’un des plus grands matches de l’histoire du Grand Chelem parisien. Et ce troisième set «cosmique» restera un monument à lui tout seul… Mais pas le temps de savourer trop longtemps pour le n°1 mondial, une finale de Grand Chelem l’attend contre Stefanos Tsitsipas. Et elle est particulièrement cruciale puisqu’elle pourrait lui permettre de revenir à une unité de Nadal et Federer avec un 19ème titre en Grand Chelem. Mais ça, c’est une autre histoire. Il en a déjà écrit une page de folie ce vendredi soir.