Ce 3 juin 2011, c’est journée de gala à Roland-Garros. Et pour cause, les quatre meilleurs joueurs du monde sont dans le dernier carré du Grand Chelem parisien. En guise d’entrée, les spectateurs du Philippe-Chatrier ont droit à un sympathique Nadal-Murray, qui tourne sans surprise à l’avantage de l’Espagnol à l’issue d’une rencontre accrochée, mais ce n’est rien à côté du copieux Federer-Djokovic qui attend le public parisien.

De plus, l’enjeu est à la hauteur de l’événement. Au sommet de son art, Novak Djokovic est invaincu en 2011. En cas de victoire contre Roger Federer, le Serbe, qui n’a plus joué depuis cinq jours en raison du forfait de Fabio Fognini lors des quarts de finale, égalerait les 42 victoires de John McEnroe en 1984 et accéderait par la même occasion à la première place mondiale, occupée alors par Rafael Nadal. Seulement voilà, Federer, pas forcément au mieux dans cette saison 2011, retrouve toute sa splendeur durant la quinzaine parisienne, et compte bien jouer les trouble-fêtes dans cette demi-finale. Durant ce combat qui s’annonce, l’Helvète peut compter sur un public entièrement acquis à sa cause qui s’apprête à transformer le Philippe-Chatrier, habituellement bien calme, en un volcan en éruption au crépuscule d’une journée pas comme les autres.

ET LA TERRE BATTUE SE TRANSFORMA EN TABLE DE PING-PONG…

Il ne faudra pas bien longtemps au public parisien pour comprendre qu’il assiste à un monument de tennis. Pas de round d’observation, les deux joueurs breakent chacun leur tour sur le premier jeu de service de leur adversaire. Le premier set, long de 70 minutes, est un pur bijou. Le Suisse et le Serbe tutoient les sommets et se rendent coup (gagnant) pour coup (gagnant). Et si 2011 a marqué l’avènement du «tennis cosmique» de Novak Djokovic, cette demi-finale a quant à elle des allures de partition parfaite dans une symphonie d’exception interprétée par deux virtuoses du tennis moderne. Propice aux échanges longs, pour ne pas dire interminables, la terre battue de Roland-Garros paraît soudain plus rapide que le ciment de l’US Open. Ce n’est plus du tennis mais du ping-pong. Jamais la balle n’avait paru si légère Porte d’Auteuil. Après avoir remporté cette première manche au tie-break, qui est la première pierre d’un chef-d’oeuvre de 3h39, Roger Federer prend les commandes d’un match qui ne lui échappera plus.

S’il fallait ne retenir qu’un seul moment, celui où chacun a compris qu’il ne pouvait rien arriver au Suisse ce jour-là, c’est ce point d’anthologie à 3-3, 30-0, sur son service dans la quatrième manche. Le vainqueur de Roland-Garros en 2009 est acculé en fond de court. Novak Djokovic multiplie les assauts pour faire craquer le Bâlois. Ce dernier plie mais ne rompt pas. Le Serbe envoie deux énormes coups droits croisés consécutifs qui obligent l’Helvète à faire l’effort et à glisser sur la terre battue pour ramener la balle dans le court. Quand Djokovic enchaîne avec un revers dans le côté opposé, le Philippe-Chatrier retient son souffle… En état de grâce, Roger Federer enchaîne une nouvelle glissade pour frapper un passing de revers long de ligne imparable. Le public exulte, Federer sert le poing. Il sait qu’il vient de frapper un grand coup sur la tête du Serbe. Ce dernier ne peut d’ailleurs s’empêcher d’avoir quelques sourires nerveux face à la réussite de son adversaire.

UN ACE POUR CONCLURE AVANT LA NUIT

Dans un baroud d’honneur, Djokovic parviendra pourtant à breaker le Suisse et à servir pour le gain du quatrième set, ce qui obligerait alors les deux acteurs à revenir le lendemain pour disputer la cinquième manche alors que la nuit tombe sur Roland-Garros. Mais Roger Federer ne l’entendait pas de cette oreille et effaçait ce break de retard dans la foulée. Comme au premier set, l’affaire allait donc se régler au tie-break. Toujours aussi virevoltant, le Suisse fait la course en tête et se paie le luxe de conclure sur un dernier ace, le 18ème du match. Le Central devient ivre de bonheur, Federer lève le doigt au ciel et crie sa rage pour rappeler qu’il est toujours là. Le message est bien passé.

Si le Suisse n’a pu venir à bout de Rafael Nadal en finale deux jours plus tard, il n’en reste pas moins qu’il a disputé face à Djokovic le meilleur match de sa carrière sur terre battue. Et encore, l’addition aurait pu être un peu plus salée pour le Serbe… Le Bâlois n’a en effet converti que quatre de ses 25 balles de break ce jour-là. Mais qu’importe, l’essentiel était ailleurs… Novak Djokovic était à terre, Roger Federer plus rayonnant que jamais Porte d’Auteuil. Et bien qu’il n’ait pu ajouter un deuxième Roland-Garros à son palmarès cette année-là, l’Helvète a prouvé qu’il fallait encore compter sur lui. Novak Djokovic l’aura bien compris et ne manquera pas de se venger quelques mois plus tard à l’US Open. Toujours est-il que cette demi-finale épique devant un public hystérique restera un monument à part dans l’histoire de Roland.