Covid oblige, on savait que cet Open d’Australie, cuvée 2021, ne ressemblerait à aucun autre. Mais le Grand Chelem australien ne ressemblera pas non plus à l’US Open et à Roland-Garros, les deux premiers Majeurs qui ont été organisés pendant la pandémie actuelle. Et pour cause, les autorités australiennes sont parvenues à maîtriser l’épidémie de Covid-19 (28 800 cas et 900 décès) au prix de mesures drastiques, dont un confinement de quatre mois à Melbourne qui s’est achevé en octobre. Alors au moment d’organiser l’Open d’Australie, aussi important soit cet événement pour les Australiens et le rayonnement du pays à l’international, il n’est pas question de relâcher l’étreinte. Bien au contraire. Mais les dents n’ont pas tardé à grincer au sein du millier de personnes qui a débarqué il y a une semaine sur l’île-continent…

Pourtant, les participants à l’Open d’Australie se doutaient déjà qu’ils vivraient une expérience inédite avant même d’embarquer en raison de mesures très strictes pour limiter les risques de contamination au Covid-19. En effet, les joueurs et leur staff doivent respecter une quarantaine obligatoire de deux semaines avant de pouvoir enfin réellement préparer le premier tournoi du Grand Chelem de la saison. Mais pour plusieurs joueurs, cette quarantaine a pris une tournure encore plus difficile…

Et pour cause, 72 d’entre eux ont été placés à l’isolement total après la découverte de cas de Covid-19 dans trois vols en provenance de Los Angeles, Doha et Abu Dhabi. Considérés comme cas contacts, les joueurs à bord de ces vols n’auront donc pas la moindre possibilité de sortir de leur chambre jusqu’à la fin de leur quarantaine de deux semaines. Sans entraînement durant cette période, le premier tournoi du Grand Chelem de la saison s’annonce particulièrement délicat pour ce contingent de joueurs malchanceux…

NOVAK DJOKOVIC ET CRAIG TILEY DANS L’ŒIL DU CYCLONE

Mais qu’importe, les règles sont les règles. Novak Djokovic l’a appris à ses dépens alors que le Serbe a envoyé une lettre à Craig Tiley, le directeur de l’Open d’Australie, pour lui soumettre quelques propositions visant à rendre le quotidien des confinés de Melbourne plus agréable, notamment en leur permettant de disposer de matériel d’entraînement et de fitness dans leurs chambres ou encore de voir leur entraîneur et leur préparateur physique. Mais interpeller Craig Tiley ne changera rien…

Ce n’est pas lui qui décide d’alléger ou non les conditions de confinement des participants à l’Open d’Australie. Chaque modification doit recevoir la bénédiction de l’État de Victoria qui a le dernier mot. Et alors que l’Australie n’a pas prévu de rouvrir ses frontières aux voyageurs étrangers en 2021, les autorités locales ne comptent rien concéder aux près de 1 300 personnes (joueurs, entraîneurs, arbitres…) provenant des quatre coins du monde et qui constituent autant de dangers pour nourrir une nouvelle vague épidémique sur l’île-continent. S’il ne fait aucun doute que la situation est difficile à vivre pour les joueurs, la position des autorités de l’État de Victoria, où se trouve Melbourne, est plus que compréhensible.

Dans ces conditions, l’appel lancé par Novak Djokovic au patron de Tennis Australia n’avait aucune chance d’aboutir. Craig Tiley se retrouve malgré lui au milieu d’un no man’s land entre les joueurs et les autorités locales. Il est déjà parvenu à obtenir l’accord de ces dernières pour que l’Open d’Australie puisse se dérouler à Melbourne cette année, alors qu’elles n’étaient franchement pas emballées par l’idée… Dans ce contexte, difficile d’en demander plus.

En revanche, les organisateurs ont décidé de remanier la dernière semaine de préparation en ajoutant un tournoi WTA réservé aux 27 joueuses et une joueuse de double actuellement en quarantaine stricte, comme Bianca Andreescu, Victoria Azarenka et Sloane Stephens. Du côté des messieurs, les deux tournois ATP 250 et l’ATP Cup ont été décalés de 24 heures. La preuve que Tennis Australia fait le maximum à son échelle pour placer les joueurs les plus affectés dans les meilleures conditions possibles avant d’entamer l’Open d’Australie.

Si l’initiative de Djokovic était louable, elle n’a pas manqué de mettre le feu aux poudres, avec des critiques virulentes émises par l’opinion publique locale, la presse australienne et même plusieurs joueurs. Traité de «crétin» par Nick Kyrgios, qui adore le torpiller, le Serbe divise une partie du circuit ATP depuis plusieurs mois, en raison de sa décision juste avant l’US Open en août dernier de créer avec Vasek Pospisil une nouvelle association de joueurs, la Professional Tennis Players Association (PTPA). Quelque peu échaudée par l’attitude du premier joueur mondial, l’ATP avait d’ailleurs réagi fin 2020 en bloquant son retour au sein du Conseil des joueurs avec un nouveau règlement précisant qu’il est impossible d’être membre de deux organisations à la fois.

Pour ne rien arranger, Djokovic fait partie de la «bulle» de privilégiés à Adélaïde, en compagnie d’autres stars du tennis mondial, comme Nadal, Thiem ou encore les sœurs Williams. Cette bulle parallèle ne manque d’ailleurs pas d’agacer les joueurs basés à Melbourne qui dénoncent un traitement de faveur. Car en plus d’être à Adélaïde, ce petit groupe de joueurs et joueuses bichonnés par Tennis Australia participera à une exhibition sur place avant de prendre la direction de Melbourne. Plutôt agréable pour monter en puissance avant le tournoi. De quoi susciter la colère des confinés de Melbourne…

«C’EST COMME ÊTRE EN PRISON MAIS AVEC LE WIFI»

Bien qu’il assure avoir tout fait pour effectuer sa quarantaine à Melbourne, et non à Adélaïde, le «Djoker» s’est d’autant plus retrouvé isolé après ses requêtes pour adoucir le quotidien des confinés de Melbourne. Certains ont même sous-entendu qu’il avait agi de cette manière pour se donner bonne conscience et améliorer son image. De plus en plus acculé, le Serbe a fini par réagir pour clarifier la situation : «Mes bonnes intentions à l’égard de mes collègues joueurs ont été mal interprétées et considérées comme égoïstes, difficiles à réaliser, et non reconnaissantes à l’égard de l’organisation de l’Open d’Australie. Tout ceci ne pourrait être plus éloigné de la réalité. Parfois, quand je vois les répercussions de certaines choses, j’ai tendance à me demander si je ne devrais pas m’éloigner, profiter de mes gains sur le circuit, au lieu de me soucier des difficultés des autres.» Gare à la bête blessée qui pourrait tout balayer sur son passage sur les courts de Melbourne Park…

Que le Serbe se rassure, il n’est pas le seul à s’être fait critiquer ces derniers jours. Alizé Cornet et surtout Roberto Bautista Agut peuvent en témoigner. Il faut dire que l’Espagnol n’y est pas allé avec le dos de la cuillère dans des propos dévoilés par la chaîne israélienne Sport 5. «C’est comme être en prison mais avec le wifi. Ces gens n’ont aucune idée de ce qu’est le tennis et l’entraînement. C’est un désastre complet», avait-il déclaré. S’il s’est excusé depuis, le mal était fait.

Heureusement, la sagesse a fini par pointer le bout de son nez via une lettre de Victoria Azarenka publiée sur les réseaux sociaux. «Parfois, des choses arrivent et il faut les accepter, s’adapter et avancer ! Je voudrais demander à tous mes collègues de faire preuve de coopération, compréhension et empathie pour la communauté locale qui a surmonté des restrictions très dures qu’elle n’avait pas choisies, mais qu’elle a été contrainte de suivre. Je voudrais demander à mes collègues d’être également sensibles aux personnes qui ont perdu leur emploi et des proches pendant cette période horrible à travers le monde. Je voudrais leur demander d’avoir du respect pour les personnes qui travaillent sans relâche pour essayer de nous faciliter la vie», a notamment écrit la joueuse biélorusse, qui fait pourtant partie des 72 infortunés qui doivent subir un confinement absolu. Voilà qui remet l’église au centre du village.

LA SANTÉ MENTALE DES JOUEURS EN DANGER ?

Malgré la tension générale qui règne autour de cet Open d’Australie, la grogne de nombreux joueurs soulève plusieurs problèmes qui vont directement impacter les performances de certains participants. Par exemple, quid de l’équité sportive ? Car si les joueurs, en grande majorité, ont le droit de sortir cinq heures par jour de leur chambre pour aller s’entraîner, ce n’est pas le cas des 72 joueurs placés en quarantaine stricte, sans autorisation de sortir de leur chambre pour deux semaines. Pour ces joueurs malheureux, les chances de faire un bon tournoi fondent jour après jour comme neige au soleil. Surtout que l’Open d’Australie n’est pas le tournoi du Grand Chelem le moins éprouvant avec des températures extrêmes sous le cagnard de Melbourne à cette période de l’année.

Mais au-delà de l’état physique de ces joueurs, c’est leur santé mentale qui inquiète davantage. Et quand on sait que le tennis est l’un des sports où la dimension mentale est si cruciale, cela peut rapidement s’avérer dévastateur. Non seulement pour le tournoi, mais aussi pour la suite de la saison. Une problématique soulevée par la fédération espagnole qui a fait part de ses craintes sur les «dégâts psychologiques» que risquent les joueurs les plus affectés par la situation actuelle. Mais qu’importe, le tennis n’est pas au-dessus des lois. Et les autorités locales ont bien l’intention de le faire comprendre à l’ensemble des participants. Aussi difficile cette situation soit-elle à supporter, ces derniers ont tout de même la chance de pouvoir pratiquer leur métier, leur passion, et de se battre pour un prize-money généreux à Melbourne. Le jeu en vaut sans doute largement la chandelle. «La patience est la mère de toutes les vertus», paraît-il… En attendant, des jours meilleurs, c’est système D et créativité dans les chambres des confinés de Melbourne.

COVID-19, CRÉATEUR D’HISTOIRES UBUESQUES

Avec les événements de ces derniers jours, on en oublierait presque les mésaventures du clan français l’an passé à Flushing Meadows qui s’indignait de leur traitement à la suite d’une simple partie de cartes avec Benoît Paire, testé positif au Covid-19 avant l’US Open. Ainsi, Adrian Mannarino, Richard Gasquet, Grégoire Barrère, Édouard Roger-Vasselin et Kristina Mladenovic, les participants à cette partie de cartes, avaient été soumis à un régime très strict qui ne leur offrait que très peu de libertés. Quasiment coupés du monde, ils ne pouvaient quitter leur chambre d’hôtel que pour aller s’entraîner et participer au tournoi, avec l’interdiction de prendre l’ascenseur ou d’accéder aux espaces communs comme les vestiaires. Cerise sur le gâteau, les joueurs concernés ne pouvaient pas quitter le territoire américain, peu importe leur parcours à l’US Open, pendant deux semaines. Un parcours qui s’était d’ailleurs arrêté brutalement pour Kristina Mladenovic après son exclusion du tournoi de double par les autorités américaines.

Cependant, ces faits étaient intervenus pendant la quinzaine new-yorkaise. Dans le cas de l’Open d’Australie, le tournoi ne débute que dans deux semaines et il y a déjà une sacrée pagaille. Cette dernière avait d’ailleurs débuté dès les qualifications, exceptionnellement délocalisées à Dubaï (femmes) et Doha (hommes). Au premier tour des qualifications à Doha, c’est le Français Elliot Benchetrit, qui évolue désormais sous les couleurs marocaines, qui a vécu une drôle d’histoire. Il a été sorti par l’Américain Denis Kudla… qui a été déclaré positif au Covid-19 en plein match !

Toujours au rayon des histoires insolites, Tennis Sandgren a été autorisé à prendre l’avion pour rejoindre Melbourne malgré un test positif au Covid-19… Certes, l’Américain avait déjà contracté le virus en novembre et n’était donc plus contagieux. Mais cela n’a pas vraiment rassuré les autres participants au premier Grand Chelem de la saison. Andy Murray n’a pas eu la même chance que Sandgren, avec un test revenu positif juste avant de s’envoler pour Melbourne. Le Britannique a ainsi rejoint la liste des absents de marque, sur laquelle figure notamment Roger Federer et John Isner. Des péripéties qui font presque passer l’US Open et Roland-Garros 2020 pour des colonies de vacances…

Après une première semaine agitée, Craig Tiley doit espérer que les deux prochaines soient plus apaisées avec la fin de la quarantaine obligatoire puis le début des épreuves préparatoires, dont l’ATP Cup. Mais l’horizon ne va peut-être pas s’éclaircir… Le directeur de l’Open d’Australie a annoncé aux joueurs que le variant britannique avait été détecté parmi les personnes infectées par le Covid-19 dans l’un des avions affrétés par les organisateurs du tournoi. Pour l’heure, trois cas de variant britannique auraient été identifiés. D’autres cas sont à redouter dans les prochains jours en raison du temps d’incubation. Et si un cluster venait à germer, la situation deviendrait alors intenable, d’autant plus que le variant anglais est plus contagieux et potentiellement plus mortel que le virus original. Dans ces conditions, l’Open d’Australie peut-il être annulé ? Toutes les options sont possibles à deux semaines du coup d’envoi du tournoi.

Espérons que la bulle de Melbourne n’éclate pas d’ici là.