Jouer la peur au ventre, vous n’avez jamais connu ça ? Demandez plutôt à Dominic Thiem et Alexander Zverev. Complètement tétanisés par la perspective de remporter un premier tournoi du Grand Chelem, les deux joueurs ont proposé dimanche en finale de l’US Open un improbable spectacle aussi dramatique que pathétique. Mais comment leur jeter la pierre dans une ère dominée par trois monstres absolus du tennis… Les chances de glaner un tournoi du Grand Chelem étant si rares depuis si longtemps, l’occasion était trop belle. Au terme d’une finale renversante, qui a basculé dans l’irrationnel dans le dernier acte, c’est finalement Dominic Thiem qui est devenu «Majeur». Mais que ce fut compliqué…

L’Autrichien avait beau avoir une bonne expérience des grands rendez-vous avec trois finales de Grand Chelem à son actif avant de faire son entrée sur le court Arthur-Ashe ce dimanche, il n’a été que l’ombre de lui-même pendant 1h30. Le temps qu’il a fallu pour Alexander Zverev afin de remporter les deux premiers sets et faire le break dans la troisième manche à la surprise générale. Et pour cause, Thiem avait été impressionnant jusque-là dans le tournoi avec des démonstrations de force contre Félix Auger-Aliassime, Alex De Minaur et Daniil Medvedev, tandis que Zverev n’avait pas franchement convaincu – et c’est un euphémisme – avec des victoires très laborieuses contre Borna Coric et Pablo Carreño Busta.

THIEM TÉTANISÉ, ZVEREV DU BON PIED

Or l’Allemand, qu’on pourrait pu penser quelque peu inhibé par la pression d’une première finale de Grand Chelem, est parfaitement rentré dans le match en jouant juste, sans forcer. Suffisant pour prendre le dessus sur un Thiem complètement à la dérive, pas très mobile et beaucoup trop loin de sa ligne en fond de court, qui jouait trop court et multipliait les fautes grossières. On pensait alors que l’Autrichien était touché physiquement, d’autant plus qu’il avait fait venir le kiné lors de sa demi-finale contre Daniil Medvedev. Mais c’était bel et bien de la tension, poussée à son extrême. «J’ai eu un souci au talon d’Achille en demi-finale, mais c’était réglé, je n’ai ressenti aucune douleur. Non, le problème, c’était mes nerfs. J’étais hyper tendu. Je n’avais pas été aussi tendu depuis très longtemps. Je ne me souvenais plus de cette sensation. Je ne savais pas comment m’en débarrasser», a indiqué le n°3 mondial après la finale.

Finalement, il est parvenu à se délester progressivement de cette pression paralysante pour équilibrer les débats dans le troisième set. Pour se relancer, Thiem a eu la (très) bonne idée d’effacer immédiatement son break de retard dans la troisième manche. Le point de départ d’une folle remontée dont le scénario pourra peut-être intéresser les producteurs à Hollywood pour donner vie à un film dont le titre serait : «Qui aura le moins peur de gagner». Car c’est de ça dont il s’agit véritablement. En l’absence de Federer, Nadal et Djokovic au stade ultime dans un tournoi du Grand Chelem, la pression sur les épaules des deux hommes était très forte. Peut-être même trop ce dimanche soir sur le court Arthur-Ashe….

UN DERNIER ACTE INVRAISEMBLABLE

Dans ce contexte, cette finale ne pouvait se décider qu’au cinquième set, devenu réalité après une quatrième manche bien maîtrisée de Thiem, durant laquelle il s’est montré impérial sur son service. Galvanisé par son comme-back, l’Autrichien a idéalement débuté le dernier acte avec un break d’entrée. Le troisième mondial allait-il pour autant s’envoler facilement vers la victoire ? Absolument pas… Car ce cinquième s’apprêtait à offrir une avalanche de retournements de situation, où la crispation des deux joueurs a atteint son paroxysme. Quand Zverev a pris le service de Thiem pour mener 5-3, on se disait alors que la messe était dite et que l’Allemand allait créer la surprise… Mais c’est fou ce qu’un Grand Chelem peut être lourd à porter… Le natif d’Hambourg a pu le vérifier avec un jeu de service raté dans les grandes largeurs pour maintenir Thiem en vie dans la rencontre. C’est même l’Autrichien qui a eu la possibilité de conclure quelques minutes plus tard en faisant le break.

Avant de servir pour le titre, la tête de série n°2 a fait venir le kiné sur le court, les crampes commençant à pointer le bout de leur nez. Sans poussée sur les jambes, difficile de conserver son service. C’est donc au tie-break que l’affaire allait être réglée après six breaks en douze jeux dans ce cinquième set. On imagine aisément le volcan qu’aurait été le Arthur-Ashe face à se scénario complètement dingue…. Après deux balles de match sauvées par Zverev, la troisième a finalement été la bonne pour Thiem dans ce jeu décisif. Après avoir perdu sa première finale de Grand Chelem sans gagner le moindre set, à Roland-Garros en 2018, puis après être parvenu à prendre une manche à Rafael Nadal, toujours Porte d’Auteuil en 2019, et deux à Novak Djokovic, à l’Open d’Australie en début d’année, l’Autrichien a complété son ascension avec un sacre renversant en Majeur, en remontant un handicap de deux sets à zéro.

ENFIN UN MAJEUR POUR LES ANNÉES 1990

Si Zverev a démarré la finale de la meilleure des manières et s’est montré particulièrement adroit au filet comme en atteste ses 43 montées gagnantes sur les 66 réalisées tout au long de la partie, il a été trop inconstant au service avec 15 double-fautes et des prises de risques aberrantes sur seconde balle. De son côté, Thiem a eu le mérite de toujours y croire et de redevenir à peu près lui-même en fin de rencontre. Durant les dernières minutes de cette finale si étrange, chacun a joué avec une peur monstrueuse de l’échec, ce qui s’est traduit par des fautes grossières, plus improbables les unes que les autres. C’est à ce moment-là qu’on s’aperçoit encore davantage que les trois titans (Federer, Djokovic et Nadal) ne sont pas fait du même bois que les autres. Sur le «Big 3», la pression n’a que peu de prise. Elle n’altère pas leur concentration ou leur niveau de jeu. Elle les transcende.

A défaut d’être superbe, cette finale restera cependant inoubliable et historique à plus d’un titre. Inoubliable de par son scénario invraisemblable, historique de par son contexte et sa portée. Car Thiem est tout simplement le premier joueur né dans les années 1990 à aller au bout en Grand Chelem. Cela faisait depuis l’US Open 2014 et la victoire de Marin Cilic qu’on attendait un nouveau vainqueur en Grand Chelem. L’attente a pris fin avec Dominic Thiem. L’Autrichien pourra remercier son entraîneur, Nicolas Massu, qui n’a cessé de lui envoyer de l’énergie au bord du terrain pendant les 4h02 de ce match fou.

ZVEREV, UNE PROMESSE POUR L’AVENIR

Si ce sacre dans un Majeur est évidemment mérité pour Thiem, qui est celui s’étant le plus rapproché du trio infernal ces deux dernières années, on ne peut que souhaiter à Zverev de goûter un jour à cette joie suprême. L’Allemand a tenu un discours aussi beau que déchirant après la finale. Après le scénario de ce match, dire quelques mots, c’était déjà beaucoup. Mais en évoquant ses parents, touchés par le Covid-19, il a fini par craquer…

On espère que Sascha sèchera vite ses larmes, car il est assurément sur la bonne voie. N’oublions pas qu’à force d’être éliminé prématurément en Grand Chelem ces dernières années, certains étaient déjà prêts à l’enterrer et à lui prédire un destin digne de Grigor Dimitrov. Une étoile qui a tout pour briller durablement mais qui se contentera d’être filante. En atteignant le dernier carré à Melbourne puis la finale à New York cette année, Zverev a fait taire pas mal de mauvaises langues. De plus, on aurait tendance à l’oublier tant son talent est précoce, mais il n’a que 23 ans… L’apprentissage pour devenir «Majeur» est parfois douloureux. Il a pu le vérifier à Flushing Meadows.