Après Caroline Wozniacki, c’est au tour de Maria Sharapova de tirer sa révérence. En effet, la Tsarine a annoncé cette semaine qu’elle mettait un terme à sa carrière dans une lettre ouverte publiée dans les magazines Vanity Fair et Vogue. Certains se souviendront de ses cris stridents qui pouvaient faire exploser des tympans, d’autres de son mental d’acier, d’autres encore de sa maîtrise parfaite du sport-business. Mais quoi qu’il en soit, elle restera une championne à part dans l’histoire du tennis.

Née en Sibérie, la Russe a fait ses gammes au bord de la mer Noire, à Sotchi, avant de s’envoler pour la Floride sur les recommandations de la championne tchèque Martina Navratilova. Aux États-Unis, au sein de l’académie du coach américain Nick Bollettieri, la pépite russe se construit un jeu et un mental à la hauteur des espoirs placés en elle. Avant même d’atteindre la majorité, Maria Sharapova éclatera aux yeux du monde entier en s’offrant le premier titre du Grand Chelem de sa carrière en 2004 à Wimbledon avec une victoire en finale contre Serena Williams, celle qui lui causera par la suite tant de problèmes insolubles sur le court jusqu’à la fin de sa carrière (19 défaites consécutives après deux succès en 2004).

Admirée, critiquée, jalousée, qu’on aime ou non Maria Sharapova, tout le monde s’accorde sur une chose : elle n’a laissé personne dans l’indifférence. Et qu’on le veuille ou non, elle laissera une trace indélébile dans l’histoire de son sport. A l’heure de lui dire adieu, la Russe n’a d’ailleurs pas caché son émotion. «En donnant ma vie au tennis, le tennis m’a donné une vie. Ça me manquera tous les jours. L’entraînement et ma routine quotidienne me manqueront : me réveiller à l’aube, lacer ma chaussure gauche avant celle de droite et fermer la porte du terrain avant de frapper ma première balle de la journée. Mon équipe, mes entraîneurs me manqueront. Les moments assis avec mon père sur le banc du terrain d’entraînement vont me manquer. Tout comme les poignées de main – gagner ou perdre – et les athlètes, qu’ils le sachent ou non, qui m’ont poussé à faire de mon mieux», a déclaré l’ancienne n°1 mondiale.

Si la championne russe a fait son introspection dans cette longue lettre ouverte, qu’allons-nous retenir de son parcours ? Au travers de trois facettes de sa personnalité, voici quelques éléments pour essayer de vous éclairer…

LA GUERRIÈRE

A 32 ans, Maria Sharapova quitte le circuit WTA en ayant remporté 36 titres, dont cinq en Grand Chelem et un Masters. La Russe restera un modèle de précocité puisqu’elle a glané 15 de ses 36 titres (42%) avant de souffler sa vingtième bougie. Elle est d’ailleurs la seule joueuse au XXIème siècle à être parvenue à remporter deux tournois du Grand Chelem (Wimbledon 2004 et US Open 2006) avant ses 20 ans, comme l’a remarqué l’excellent Jeu, Set et Maths. Cerise sur le gâteau, elle est devenue n°1 mondiale à seulement 18 ans en 2005. Mais au-delà du simple talent tennistique évident, Maria Sharapova s’est distinguée avec une rage de vaincre hors du commun qui l’a portée vers les sommets. Bourreau de travail, la Tsarine, armée notamment d’un revers à deux mains redoutable, était l’archétype de la guerrière sur le court. Peut-être pas comme l’est encore Rafael Nadal sur le circuit masculin, mais pas si loin.

Alors qu’elle avait remporté Wimbledon (2004), l’US Open (2006) et l’Open d’Australie (2008) avant 2010, «Masha» aurait pu être découragée de ne pas réussir à briller sur la terre battue de Roland-Garros. Mais mettant à profit son expérience et son abnégation, la Russe n’a jamais renoncé. Bien au contraire. Bien lui en a pris puisqu’elle a fini par s’imposer Porte d’Auteuil en 2012, avant de doubler la mise en 2014. Roland-Garros restera donc comme le seul tournoi du Grand Chelem où elle s’est imposée à deux reprises, un paradoxe quand on sait que la terre battue n’était pas la surface qui lui convenait le mieux. «La terre battue de Roland-Garros a mis au jour pratiquement toutes mes faiblesses – à commencer par mon incapacité à glisser dessus – et m’a forcé à les surmonter. Deux fois», a-t-elle d’ailleurs souligné cette semaine avec fierté.

Maria Sharapova, cela restera aussi une carrière marquée par les pépins physiques, principalement en raison d’une épaule droite récalcitrante qui l’a finalement conduit à stopper les frais en ce début d’année après une défaite au premier tour de l’Open d’Australie contre Donna Vekic. La Russe a d’ailleurs fini sa carrière sur trois défaites au premier tour en Grand Chelem. Un triste enchaînement qu’il était temps d’arrêter. Celle qui a disputé 10 finales en Grand Chelem dans sa carrière n’avait d’ailleurs plus atteint ce stade de la compétition depuis l’Open d’Australie 2015 et une défaite contre l’impitoyable Serena Williams.

Tombée à une funeste 373ème place mondiale, elle a commencé à envisager la fin de sa carrière lors du dernier US Open. «Derrière des portes closes, trente minutes avant de rentrer le terrain, j’ai subi un traitement pour engourdir mon épaule afin d’être en mesure de disputer le match (contre Serena Williams une fois de plus, ndlr). Les blessures aux épaules ne sont pas nouvelles pour moi. Au fil du temps, mes tendons se sont effilochés comme une ficelle. J’ai subi plusieurs opérations – une fois en 2008 et une autre l’année dernière – et j’ai passé d’innombrables mois en physiothérapie. Le simple fait d’aller sur le court ce jour-là m’a semblé être une victoire finale, alors que bien sûr, cela n’aurait dû être que le premier pas vers la victoire. Je ne partage pas cela pour avoir votre pitié, mais pour dépeindre ma nouvelle réalité : mon corps était devenu une distraction», explique la Russe. Cette anecdote, c’est peut-être celle qui décrit le mieux son refus d’abdiquer.

Mais quoi de plus logique pour une Tsarine ?

LA SUSPENDUE POUR DOPAGE

Dans le conte de fées écrit par Maria Sharapova, il restera cependant une tuile. Peut-être la pire possible… Et pour cause, la Russe a été contrôlée positive au meldonium lors de l’Open d’Australie 2016. Ce médicament, qu’elle prenait depuis dix ans en raison de risques de diabète liés à des antécédents familiaux, a été considéré fin 2015 comme un produit dopant, ce qui a conduit l’Agence mondiale antidopage (AMA) à l’ajouter à sa liste des substances prohibées au 1er janvier 2016. Prévenue par mail en décembre 2015 de ce changement de réglementation, la Russe a oublié d’en prendre connaissance, une erreur lourde de conséquences.

En juin 2016, l’ITF a en effet décidé d’infliger une suspension de deux ans à la Tsarine. Finalement, la peine a été réduite à 15 mois de suspension par le TAS (Tribunal arbitral du sport), ce dernier reconnaissant la Russe coupable d’une «violation du code antidopage» mais «sans faute significative». Malgré une sanction moins rude que prévue, cette suspension soulève des interrogations sur les performances de Maria Sharapova. Et pour cause, les effets bénéfiques du meldonium pour contrer le diabète n’ont été mis au jour qu’en 2009, alors que le médicament incriminé lui avait été prescrit trois ans plus tôt.

De plus, la Russe vit depuis 1995 aux États-Unis. Or les autorités américaines n’ont jamais donné leur feu vert à la commercialisation du meldonium sur leur territoire, émettant des doutes sur les bienfaits réels de ce médicament. Il faut par conséquent se rendre en Russie et dans les pays de l’ex-URSS pour l’obtenir. Et à l’heure où la Russie est accusée d’avoir mis en place un dopage d’État, il est difficile de ne pas se poser de questions sur les accomplissements de Maria Sharapova, qui a remporté quatre des cinq tournois du Grand Chelem à son palmarès en prenant ce médicament. Revenue de suspension en 2017, Maria Sharapova n’est jamais parvenue à retrouver sa grandeur d’antan. Depuis son retour sur les courts, la Russe n’avait réussi à remporter qu’un seul tournoi. C’était à Tianjin, en Chine, en 2017. Pour le reste, les trois dernières saisons ont été un véritable calvaire pour elle.

Cette affaire a cependant mis en lumière les relations glaciales entre Maria Sharapova et les autres joueuses du circuit. Réputée pour être peu abordable dans les vestiaires et abordant un visage très fermé durant ses matches, la diva a souvent renvoyé l’image d’une championne hautaine et arrogante, qui la rendait intouchable. Une posture qui a eu le don d’agacer ses consœurs qui ont profité de son retour de suspension pour dire tout le bien qu’elles pensent de la Tsarine. Ainsi, Eugenie Bouchard l’a tout simplement traitée de «tricheuse» tandis que Kristina Mladenovic avait assuré que «Roland-Garros brillera tout autant sans Sharapova».

LA FEMME D’AFFAIRES

Peu importe le souvenir qu’elle laissera aux actrices du circuit ou au public, Maria Sharapova a préparé sa reconversion professionnelle bien avant la fin de sa carrière. Jouissant d’une image très glamour auprès du grand public, la Tsarine a très vite attiré les marques qui voyaient en elle une superbe opportunité pour faire fructifier leurs affaires. «La beauté fait vendre. Je sais que c’est en partie pour ça que les gens me veulent et ça me convient. Je ne vais pas me rendre laide exprès», avait-elle déclaré. Mais au lieu de se laisser porter par cette vague marketing, la Russe a su la tourner à son avantage pour se construire une image de femme d’affaires redoutable.

Comptant Nike, Porsche ou encore Evian parmi ses sponsors, Maria Sharapova a affolé la machine à cash en enchaînant les juteux contrats publicitaires. Elle a ainsi régulièrement devancé Serena Williams au classement des sportives les mieux payées au monde établi par le magazine Forbes. Durant onze années consécutives, la Tsarine a tout simplement été la sportive la mieux payée de la planète. Entre juin 2014 et juin 2015, elle avait par exemple engrangé 29,7 millions de dollars, dont 6,7 millions grâce à ses résultats sur le circuit WTA, mais surtout 23 millions provenant de ses sponsors et de ses différentes activités commerciales.

Depuis 2012, elle peut notamment compter sur sa marque de bonbons, Sugarpova, pour faire tourner sa machine commerciale à plein régime. Une marque sur laquelle elle pourra désormais se concentrer à plein-temps. Un peu comme David Beckham, qui était mieux payé que Lionel Messi en fin de carrière, Maria Sharapova a su cultiver son image d’icône «bankable». Selon Forbes, la Russe a gagné 325 millions de dollars depuis le début de sa carrière avec ses résultats sportifs et ses activités business. Seule Serena Williams a fait mieux, mais avec davantage de succès sur le court (350 millions de dollars).

A 32 ans, la joueuse de tennis va laisser place pour de bon à la femme d’affaires. Maria Sharapova pourra s’appuyer sur sa soif de victoire sur le court pour être aussi redoutable dans le commerce. «Avec le recul, je me rends compte que le tennis a été ma montagne. Mon chemin a été rempli de vallées et de détours, mais la vue depuis son sommet était incroyable. Après 28 ans et cinq titres du Grand Chelem, cependant, je suis prêt à gravir une autre montagne – à concourir sur un type de terrain différent. Mais cette poursuite incessante des victoires ? Cela ne diminuera jamais», a-t-elle prévenu. La «sirène de Sibérie» n’a pas fini de nous étonner.