1h26. Du jamais-vu à Paris. Il était 1h26 du matin lorsque Rafael Nadal a terminé son quart de finale sur le court Philippe-Chatrier. Après une journée dingue, tout simplement. Dominic Thiem et surtout Diego Schwartzman s’en souviendront très longtemps…

LE COMBAT DE L’ANNÉE

C’est sans aucun doute le match de la quinzaine, malgré les quelques très belles oppositions déjà vues au cours du tournoi. Un duel qui prétend aisément au titre de match de l’année. Diego Schwartzman et Dominic Thiem se sont livrés un combat sans merci. Un VRAI combat. Car le terme «combat» pour qualifier un match est assez régulièrement employé… Mais ce mardi, une réalité est apparue : il est trop souvent galvaudé. Après plus de cinq heures de jeu, Dominic Thiem a dû s’avouer vaincu. Face à lui, Diego Schwartzman a certainement gagné le plus beau match de sa carrière. Contre le n°3 mondial et l’un de ses meilleurs amis sur le circuit (indubitable amitié visible jusque dans l’honnêteté sur le court avec une confiance mutuelle, presque plus importante qu’en l’arbitre au moment de juger les balles litigieuses), le tout pour une place dans le dernier carré de Roland-Garros. L’Argentin ne pouvait rêver mieux.

Dès les premières minutes, le match est parti sur des bases élevées. Hormis un échange de breaks en milieu de set, les deux hommes sont restés maître de leur service sans trop de difficultés dans le premier set. Poussée jusqu’au jeu décisif, la manche initiale est finalement tombée dans l’escarcelle de l’Argentin à l’issue d’une tie-break parfaitement maîtrisé (7-1). Déçu mais pas abattu, Thiem s’est remobilisé et a pris le service de son adversaire d’entrée de deuxième set. Mais la tête de série n°12 ne s’est pas laissée faire, effaçant son retard quelques minutes plus tard. Même malmené sur son service, comme à quatre jeux partout, Schwartzman est parvenu à trouver la solution. Après quinze minutes d’un jeu haletant, il a enfin réussi à passer devant.

A grands coups d’amorties, les deux hommes se sont rendus coup pour coup et c’est finalement sur le seul très mauvais jeu du moins bien classé des deux joueurs que Thiem en a profité pour faire le break et recoller dans la foulée à une manche partout. Deux heures et quinze minutes s’étaient déjà alors écoulées pour seulement deux sets disputés. Nadal le savait, il n’était pas couché. Lui qui était prévu en dernière rotation sur le Chatrier a dû ronger son frein toute la journée, une bonne partie de la soirée aussi. Car les deux hommes ne comptaient pas s’arrêter là, et Iga Swiatek devait défier Martina Trevisan entre les deux matches.

La troisième manche s’est résumée à un concours de breaks. Pas moins de huit fois dans le set, les retourneurs ont pris l’avantage sur les serveurs. Et comme depuis le début du match, le très haut niveau affiché par les deux amis a poussé ces messieurs au bout du set, jusqu’au jeu décisif. Cette fois, c’est l’Autrichien qui s’est détaché pour mener cinq points à un. Malgré une bonne réaction du quatorzième joueur mondial, Thiem a finalement trouvé la faille. Le troisième joueur du monde était enfin devant au score, 6-7 (1), 7-5, 7-6 (6), après 3h23 d’un match déjà épique. Malheureusement pour lui, Diego Schwartzman n’avait pas dit son dernier mot…

Dans le quatrième set, et alors que Dominic Thiem avait fait le break et semblait prêt à s’envoler pour de bon, le petit Argentin d’1m68 seulement s’est réveillé. Il a enchaîné quatre jeux consécutifs pour prendre le large dans la quatrième manche, au point même de servir pour le set à 5-4. 15-0, 30-0, 40-0… Le cinquième set semblait alors à portée de main. Mais le match n’avait pas encore connu son ultime rebondissement. Contre toute attente, l’Autrichien a refait son retard et s’est même retrouvé à deux points de la victoire. Schwartzman et Thiem se mettaient alors à produire leur meilleur tennis, tous les deux, ensemble. Une fin de set de folie durant laquelle les deux hommes ont récité tous les coups du tennis, à la perfection ou presque. A l’issue de ce troisième jeu décisif absolument sublime remporté 7-5, la tête de série n°12 enlevait le quatrième set à l’enfant de Wiener Neustadt.

Après 4h34 de combat, les deux hommes étaient à égalité au tableau d’affichage.

Le poids des matches précédents et la fatigue accumulée, notamment contre Hugo Gaston au tour précédent, auront finalement eu raison de l’Autrichien. Dans l’ultime manche, Thiem aura tenté de résister jusqu’à 2-2 avant de coincer. Il n’inscrira plus le moindre jeu. Diego Schwartzman s’est finalement imposé 7-6 (1), 5-7, 6-7 (6), 7-6 (5), 6-2 après 5h08 d’un duel homérique. Et si la rencontre était belle, leur accolade au filet, sourire aux lèvres de part et d’autre, l’était peut-être encore plus.

Les chiffres de ce match résument assez bien ce que les deux amis ont accompli. Plus de 80 points disputés dans chacun des quatre premiers sets, tous longs de plus d’une heure. 376 points joués au total, pour «seulement» 141 points avec moins de quatre coups de raquette. Vertigineux, aussi, le temps passé sur le court par Dominic Thiem. Lors de ses deux derniers matches, l’Autrichien aura passé 8h38 sur la brique pilée de la Porte d’Auteuil. L’inépuisable Diego Schwartzman est, lui, venu à bout de celui qui restait sur quatre demi-finales consécutives à Roland-Garros pour atteindre, à son tour, pour la première fois de sa carrière le dernier carré à Paris. Le jeu en valait bien la chandelle.

Même après un énorme combat, l’amitié entre Diego Schwartzman et Dominic Thiem se lit dans le sourire des deux hommes. © FFT

FUTUR TRÈS GRAND

Peu après 22h30, Rafael Nadal et Jannik Sinner ne devaient pas avoir bien chaud en entrant sur le court. L’Italien et l’Espagnol s’affrontaient pour la toute première fois. Sinner a longtemps fait jeu égal avec le maître des lieux, qui fêtait sa centième Porte d’Auteuil. Dans la première manche, le Transalpin s’est même payé le luxe de prendre le service de l’Espagnol à 5-5. Mais au moment de servir pour le set, Sinner a légèrement levé le pied, suffisamment pour que Nadal aille chercher la manche au tie-break 7-6 (4). Pas d’affolement pour autant chez le prodige de 19 ans, qui a continué à tenir tête au Majorquin. Continuant de frapper fort dans la balle, très mobile, il a pris de nouveau le service du dodécuple vainqueur à Paris pour mener 3-1. Et comme lors de la première manche, Rafa a immédiatement recollé. Le break du taureau de Manacor à quatre jeux partout fut décisif. Dès lors, le vainqueur du Masters «Next Gen» avait la tête sous l’eau.

Dans la troisième manche, Jannik Sinner a légèrement accusé le coup. Juste assez pour que Nadal s’envole définitivement vers la victoire. Pourtant, rarement on aura vu l’Espagnol malmené à l’échange comme il l’a été face à l’Italien. Le tennis se joue parfois à bien peu de choses… Jannik Sinner a (encore) le temps, mais il est déjà très prometteur. Il est le joueur le plus jeune à avoir atteint les quarts de finale du Grand Chelem français depuis un certain Novak Djokovic en 2006. Il a également réalisé un superbe parcours pour son premier Roland-Garros, en accrochant les quarts, comme… Rafael Nadal. Rien que ça ! Si en 2005 l’Espagnol était allé jusqu’au sacre, remporter quatre matches sur la terre battue parisienne lors de sa première participation ne s’était pas vu depuis l’avènement du Majorquin. Cela vous donne un aperçu certain d’un futur grand champion.

Sur le papier, la défaite de Jannik Sinner en trois sets, 7-6 (4), 6-4, 6-1, ressemble à un match assez classique contre le meilleur terrien de l’histoire. Dans le contenu, l’Italien a découvert les détails qui le séparent encore d’un vainqueur en Grand Chelem. Un écart pas si grand, surtout visible sur les points importants. Une chose est sûre, à 1h27 du matin, en quittant le court Philippe-Chatrier, Jannik Sinner avait beaucoup appris. En 2h49 de match face au n°2 mondial, il a beaucoup grandi. Nadal, lui, a remporté son 98ème match à Paris et n’a toujours pas perdu le moindre set lors de cette édition 2020. L’Espagnol s’offre une 13ème demi-finale à Roland-Garros, lors de laquelle il affrontera Diego Schwartzman, pour une revanche. Il y a trois semaines à Rome, le Majorquin s’était en effet incliné face à l’Argentin.

Rendez-vous vendredi.

DERNIER QUART, DERNIER CARRÉ

Il ne manquait plus que Danielle Collins pour parfaire des quarts de finale imprévisibles. L’Américaine, qui n’avait pu disputer le moindre jeu contre Ons Jabeur lundi à cause de la pluie, avait vu son huitième de finale reporté à mardi. La Tunisienne, 35ème à la WTA, avait sur le papier un léger avantage face à la 54ème joueuse mondiale. Sur le papier seulement, car après une heure de jeu, la tête de série n°30 se retrouvait menée 6-4, 3-0. Jabeur voyait alors la porte de sortie s’approcher à toute vitesse. Ce fut le moment (mal) choisi par Danielle Collins pour commencer à commettre des erreurs, trembler peut-être un peu à l’instant où la qualification pour son premier quart de finale en Grand Chelem se profilait. Ons Jabeur en a profité pour recoller à une manche partout. Tout était à refaire pour Collins. L’Américaine et la Tunisienne se sont alors mises à jouer sur la retenue.

Après une série de quatre breaks consécutifs, c’est la moins bien classée des deux joueuses qui a réussi à conserver sa mise en jeu. Ons Jabeur ne s’en est jamais relevée. Danielle Collins s’est finalement imposée 6-4, 4-6, 6-4, pour rejoindre sa compatriote Sofia Kenin en quarts de finale. Avec un jour de récupération en moins et deux heures de match dans les jambes ce mardi, Collins, qui a toujours battu Kenin en trois confrontations, aura fort à faire pour bouter la lauréate de l’Open d’Australie hors du tournoi. Mais Kenin, toujours dans le tournoi de double avec Bethanie Mattek-Sands, a elle aussi joué ce mardi contre la paire tchèque Krejcikova-Siniakova. Match d’ailleurs perdu par la paire américaine en trois sets (1-6, 6-4, 6-2). La différence de fraîcheur physique pourrait bien être moins importante que prévu pour ce quart de finale 100% américain.

Des quarts de finale, il y en a déjà eu deux. Et ils ont offert leur lot de surprises… Elina Svitolina, tête de série n°3, se retrouvait dans un costume de favorite taillé sur-mesure pour l’Ukrainienne, surtout depuis l’éviction au tour précédent de Simona Halep. Incapable d’assumer son nouveau statut, celle qui n’a jamais atteint les demies à Paris devra encore patienter. Hors sujet, la n°5 mondiale n’a pratiquement jamais vu le jour contre l’Argentine Nadia Podoroska, 131ème au classement WTA et issue des qualifications. Plus solide dans le jeu comme dans la tête, Podoroska n’a eu aucun mal à empocher le premier set. Dans la seconde manche, Svitolina a bien tenté de reprendre le contrôle du match mais ses coups de raquette n’étaient pas à la hauteur de sa volonté. Après une série plutôt impressionnante de six breaks consécutifs (!), c’est finalement l’Argentine qui est parvenue à conserver son service à quatre jeux partout. La messe était (presque) dite.

Malgré une dernière frayeur, l’Argentine s’est offerte la plus belle victoire de sa jeune carrière pour devenir la première joueuse de l’histoire à accéder aux demi-finales de Roland-Garros en sortant des qualifications. Elle affrontera Iga Swiatek, la supersonique Polonaise, tombeuse dans la soirée de Martina Trevisan. L’Italienne, elle aussi sortie des qualifications, espérait bien rejoindre Podoroska pour nous offrir une demi-finale des plus imprévisibles. L’ultra-combative gauchère avait déjà prouvé qu’elle pouvait faire des miracles. Mais après avoir écarté la huitième joueuse du monde, Kiki Bertens, au tour précédent, la Florentine n’a cette fois rien pu faire contre une Iga Swiatek sur un nuage.

Intraitable depuis le début du tournoi, la Polonaise, 54ème mondiale, est restée fidèle au jeu produit lors de la première semaine. C’est pourtant l’Italienne qui avait fait le meilleur départ en menant rapidement 2-0. Mais la jeune Swiatek a immédiatement réagi, gagnant 12 des 14 jeux suivants. A la clé, une victoire facile 6-3, 6-1 en 1h18 de jeu. Depuis le début du tournoi, Iga Swiatek n’a concédé que 20 jeux. Époustouflant. Après sa victoire, au micro de Marion Bartoli, elle a affiché toute sa fraîcheur et sa bonne humeur, se fendant même d’une dernière question des plus insolites : «Est-ce que Rafa joue après moi ?»

Oui Iga, à 22h23, la journée était encore bien loin d’être finie.