A Londres, le «Tournoi des maîtres» a couronné Daniil Medvedev, et a par la même occasion dit adieu à Londres. L’O2 Arena, vide, a silencieusement fêté la victoire du Russe, mais aussi la fin d’une époque. Elle était annoncée depuis quelques années, elle était de plus en plus prestement attendue. Cette fois-ci, c’est confirmé. La relève est là pour débouter Federer, Nadal et Djokovic des sommets. L’heure de la transition a bel et bien sonné.

L’époque des «et si ?» semble (enfin) derrière nous. Dimanche soir, dans l’atmosphère feutrée de l’O2 Arena de Londres, Daniil Medvedev et Dominic Thiem se sont livrés un combat sans merci, le plus long connu en finale du Masters sous son format actuel. Après 2h42 d’un bras de fer acharné, c’est le Russe qui a eu le dernier mot, 4-6, 7-6 (2), 6-4. Face à l’Autrichien, n°3 mondial, Medvedev avait l’occasion de réaliser un authentique exploit. Depuis la folle semaine de David Nalbandian à Madrid en 2007, personne n’avait réussi à battre les trois meilleurs joueurs du circuit lors d’un même tournoi.

Le Russe avait déjà réussi une superbe performance en dominant Novak Djokovic lors de la phase de poules, puis en se débarrassant de Rafael Nadal en demi-finales. Tout comme son adversaire, vainqueur de l’Espagnol en début de semaine avant de s’offrir le scalp du n°1 mondial pour atteindre la finale. En battant Dominic Thiem, le Russe entre un peu plus dans l’histoire de son sport à l’occasion de son neuvième titre en carrière. Ce duel, le cinquième entre les deux hommes, était le plus accroché. Surtout, Medvedev et l’Autrichien ont prouvé qu’ils étaient à leur place. Loin de voler leur statut de finaliste à qui que ce soit, les n°3 et 4 à l’ATP ont officialisé la petite révolution qui planait au-dessus du tennis mondial depuis quelques temps : la fin du «Big 3».

JEU ÉGAL

Certes, le palmarès des finalistes du «Tournoi des maîtres» n’a rien à voir avec celui des trois monstres sacrés que sont Roger Federer, Rafael Nadal et Novak Djokovic. Mais désormais, plus question de ne parler que de ces trois-là. Dominic Thiem et Daniil Medvedev sont assurément à ranger dans la même catégorie, celle des prétendants au titre, quels que soient les tournois sur lesquels ils s’alignent. Adieu aussi les complexes. En entrant sur le court, même face au Suisse, à l’Espagnol ou au Serbe, fini d’être intimidé ou de se penser inférieur à l’adversaire. Plus que le potentiel, les deux hommes ont montré cette année qu’il était temps de faire cesser la domination des trois ogres.

Pendant une bonne partie de l’année pourtant, Djokovic semblait intouchable quand Thiem et Medvedev peinaient à obtenir de bons résultats. En cette année 2020 si particulière, le n°1 mondial est resté invaincu pendant un bon moment. Puis le destin l’a mis hors-jeu, sur ce coup de sang à Flushing Meadows qui le vit envoyer involontairement une balle dans la gorge d’une juge de ligne, signifiant son élimination. Disqualifié en huitièmes de finale de l’US Open, le Serbe a ouvert une brèche. Et c’est l’Autrichien qui a su s’y engouffrer pour soulever, à New York, l’un des quatre plus beaux trophées du tennis.

La décompression fut inévitable pour Dominic Thiem, défait en quarts de finale lors de l’édition exceptionnellement automnale de Roland-Garros, non sans avoir livré un combat épique contre Diego Schwartzman. Difficile de digérer un tel accomplissement, qui plus est dans ces conditions. La rançon de la gloire diront certains. Daniil Medvedev, plus en délicatesse avec son jeu en début de saison, aura cherché son tennis une bonne partie de l’année. Jamais à l’aise sur l’ocre de la porte d’Auteuil, le Russe avait une nouvelle fois pris la porte d’entrée. Mais c’est justement sur le sol parisien, celui de ses désillusions répétées, qu’il a su rebondir pour finir 2020 comme un boulet de canon.

INSUBMERSIBLE

Epuisé par une deuxième partie de saison absolument sublime en 2019, couronnée de deux victoires en Masters 1000 à Cincinnati et à Shanghaï, et d’une finale à Montréal, ainsi que d’un titre à Saint-Pétersbourg, sans oublier une finale mémorable à l’US Open (durant laquelle Rafael Nadal a plus que tremblé), le Russe était arrivé à Londres à bout de souffle. Loin d’être passé à côté, il avait néanmoins manqué de fraîcheur pour tenir le choc et n’avait pas remporté le moindre match. Cette année, c’est l’exact opposé qui s’est produit.

Daniil Medvedev, le protégé de l’entraîneur français Gilles Cervara, avait connu quelques mois plus que délicats. Pas satisfait de son niveau de jeu, le Russe a plus souvent déçu que régalé. Mal dans son jeu et pas serein dans la tête, le n°4 mondial a longtemps traîné sa peine. Mais à Paris, pour le Rolex Paris Masters, il a su se transcender pour chasser ses doutes et retrouver le tennis qui l’a amené aux sommets aperçus il y a un an. En finale dans l’antre de l’Accor Arena, il avait retrouvé Alexander Zverev. En pleine confiance, l’Allemand avait d’abord dominé le Russe pendant la moitié du match avant de s’écrouler devant un Medvedev des plus combatifs. Le caractère du quatrième joueur du monde avait fini par avoir raison de l’homme en forme du moment.

A Londres, les deux hommes se sont retrouvés, et cette fois, c’est le Russe qui a le mieux débuté la rencontre. Fort de sa victoire parisienne et avec une confiance retrouvée dans son tennis, il n’a rien laissé à son jeune adversaire de 23 ans, battu 6-3, 6-4. Le véritable test pour Medvedev, c’était Novak Djokovic, assuré de finir l’année sur le trône de l’ATP. Hors du coup, le Serbe n’a pas pesé bien lourd et a tout simplement subi la loi d’un Daniil Medvedev largement supérieur. Il a ensuite déroulé face à Diego Schwartzman pour rejoindre le dernier carré sans avoir concédé le moindre set. De quoi affronter le n°2 mondial avec sérénité. Face a Rafael Nadal, le plus Français des Russes a connu plus de difficultés, mais à nouveau il a réussi à laisser passer l’orage et à remonter la pente. Laissant filer la première manche de son tournoi, Medvedev a aussi prouvé qu’il était capable de lire le jeu de ses adversaires et de changer sa tactique de jeu selon l’opposition proposée de l’autre côté du filet. Une qualité rare qui lui a permis de renverser l’Espagnol et de rejoindre la finale de la dernière édition londonienne du «Tournoi des maîtres».

BOUCLER LA BOUCLE

La première victoire en terre britannique était déjà à mettre au crédit de la Russie. C’était à l’époque Nikolay Davydenko qui s’était emparé du trophée. En plein boom du «Big 3», il avait fait sensation en 2009. Le 22 novembre 2020, c’est ce même drapeau qui a flotté au bord de la Tamise. Une manière de boucler la boucle, au moment où le «Big 3» semble plus fragilisé que jamais dans sa domination. Et si le Masters, jamais remporté par Nadal et qui échappe au duo serbo-suisse depuis 2015 et la dernière victoire du «Djoker», était annonciateur d’une révolution ?

Depuis le temps qu’observateurs, joueurs, commentateurs annoncent la fin du règne des trois monstres, c’est peut être au moment où la crise sanitaire vient brouiller les pistes que le changement, initié il y a quelques années, s’opère en secret. Car en finale, face au n°3 mondial et figure de proue de cette armée de «jeunes» (Thiem a déjà 27 ans), le Russe de 24 ans a perpétré la nouvelle tradition de la jeunesse au pouvoir dans le dernier tournoi de l’année. Comme en demi-finale, Medvedev a connu d’énormes difficultés en début de match, incapable de se défaire de la tactique mise en place par le vainqueur de l’US Open. Mais comme il en a désormais l’habitude, il a su trouver la clé pour faire sauter le verrou autrichien et soulever l’ultime trophée d’un folle saison 2020.

L’année dernière, Dominic Thiem avait échoué en finale de ce même tournoi face à Stefanos Tsitsipas. Il avait rendu les armes après avoir remporté le premier set et s’était incliné en 2h35 de jeu face au Grec, qui signait alors la plus belle victoire de sa carrière. Cette année, dans un scénario similaire, l’Autrichien a connu une nouvelle désillusion, plus cruelle encore tant il a dominé son adversaire pendant un set et demi. Mais face à un Medvedev aussi fort et à l’intelligence tactique rare, dominer ne suffira plus. Que ceux qui s’inquiétaient de l’après «Big 3», se rassurent, la relève est là, et elle ne compte pas s’en aller de sitôt. Preuve à l’appui.