Après le dernier match de cette drôle d’édition, le court Philippe-Chatrier a eu droit à un message de Thomas Pesquet depuis l’espace. L’astronaute français disait alors que la couleur ocre des courts de Roland-Garros lui rappelait la planète Mars. Mais c’est d’une autre planète d’où vient Novak Djokovic, qui s’est offert à Paris un 19ème titre du Grand Chelem lui permettant de revenir à une longueur du record co-détenu par Roger Federer et Rafael Nadal… En l’espace de 48 heures, le Serbe a écrit une sacrée page d’histoire.

D’abord, il a livré un incroyable combat de plus de quatre heures contre un Rafael Nadal qu’il a fini par écœurer dans une ambiance électrique. Mais le plus dur restait à venir, à savoir confirmer son exploit contre le meilleur joueur de l’histoire sur terre battue pour remporter un deuxième titre Porte d’Auteuil. Le Serbe avait failli à sa mission la première fois en 2015, lorsqu’il avait été surpris par un époustouflant Stan Wawrinka en finale. Cette fois, le dernier obstacle n’était pas suisse mais grec. Pour autant, l’Athénien a quelques similitudes avec le Vaudois, à commencer par un revers à une main qui fait de sacrés dégâts. Il y a six ans, Wawrinka avait d’ailleurs scellé son sacre parisien sur un dernier revers sublime.

TSITSIPAS, UNE ENTAME TROP PARFAITE POUR ÊTRE RÉELLE

Ce dimanche à Roland-Garros, le contexte était cependant différent. Surtout que Stefanos Tsitsipas disputait sa toute première finale de Grand Chelem à 22 ans. Et n’importe quel joueur qui a atteint ce niveau vous le dira, une première finale dans un Majeur, ce n’est jamais simple à gérer sur le plan émotionnel. Mais contre toute attente, malgré un premier jeu compliqué, le Grec s’est montré largement à la hauteur de l’événement en tenant la dragée haute à Novak Djokovic. Il a même réussi à faire tomber le Serbe sur une merveille de contre-amortie en plein milieu du premier set.

Cependant, quand le «Djoker» a chipé le service de son adversaire pour servir pour le gain de la première manche, on pensait que la diabolique machine des Balkans était enfin enclenchée. Mais à la surprise générale, c’est le moment où le n°1 mondial a commencé à flancher. D’abord en offrant le débreak à Tsitsipas, avant de céder dans le jeu décisif alors qu’il avait fait l’effort pour revenir à hauteur et même se procurer une balle de set. Toutefois, il serait erroné de penser que le Grec a simplement bénéficié d’une baisse de régime de Djokovic. Au contraire. Dans ce set inaugural d’une très grande qualité, l’Athénien a démontré l’étendue de sa palette technique en multipliant les points fantastiques. Pour autant, après tant d’efforts pendant plus d’une heure pour prendre les commandes de cette finale, le réveil du patron du circuit n’allait pas tarder pour renvoyer son insolent adversaire à ses études ? Pas du tout…

DJOKOVIC ET LA PAUSE MAGIQUE AUX VESTIAIRES

Car sur sa lancée, Tsitsipas a continué à se montrer étincelant, alors que Djokovic a rapidement abdiqué dans la deuxième manche. Semblant résigné sur le terrain, ça commençait à sentir le roussi pour le n°1 mondial… 7,6, 6-2 après 1h43 de jeu pour le Grec, cela semblait trop beau pour être vrai. Mais alors qu’un premier titre du Grand Chelem tendait les bras à son adversaire, le Serbe a sorti sa botte secrète pour poser les bases de sa remontada : le passage aux vestiaires. Je vais être honnête avec vous, je savais dès le milieu du deuxième set qu’il allait sortir du court. Et pour cause, Djokovic est coutumier du fait. Le natif de Belgrade s’est sans doute rappelé au bon souvenir de son come-back quelques jours plus tôt contre Lorenzo Musetti contre lequel il était également mené deux manches à rien. Après une pause dans les vestiaires, le «Djoker» était revenu transfiguré sur le court pendant que l’Italien déclinait physiquement. Résultat : il était passé en cinq sets. Et devinez quoi ? Il a refait le coup à Tsitsipas en finale…

De retour sur le court, ce n’était plus le même Djokovic. Bien plus déterminé, donnant plus de consistance à ses balles et obligeant à faire jouer le coup de trop à Tsitsipas, le Serbe est progressivement redevenu le joueur intouchable qui commence à manger votre cerveau, quand le Grec a certainement vu la pression d’un premier sacre dans un Majeur le rattraper. Quand Djokovic a remporté le troisième set, l’issue de cette finale ne faisait plus guère de doute… Le «Djoker» avait repris sa marche triomphale et un Tsitsipas, pourtant admirable de courage, n’y pouvait rien. En conférence de presse, Novak Djokovic a expliqué qu’il y avait «deux petites voix différentes» qui se battaient dans un octogone : celle qui te donne envie d’abandonner et celle qui te pousse à te battre. Devinez laquelle a écouté le Serbe ? Bingo, celle de la bagarre !

«IL EST SOUDAIN DEVENU UN JOUEUR DIFFÉRENT»

Au-delà de la blague, Novak Djokovic a toujours été un monstre sur le plan mental et cette finale en est une illustration supplémentaire. «Tout au long de ma carrière, j’ai énormément travaillé l’aspect mental. J’essaie d’avoir cette capacité mentale à me recentrer, à me rééquilibrer dans l’instant, plutôt que d’avoir des pensées qui me tirent à droite ou à gauche, même si ça m’est arrivé à de nombreuses reprises, et dans des grandes occasions. Je me souviens de grands matches, notamment en Grand Chelem, que j’ai perdus à cause de ce dialogue interne, de cette conversation intérieure, qui prenait le dessus et qui me tirait sur le côté obscur», a-t-il expliqué en conférence de presse après sa victoire. Car vous vous en doutez sûrement, quand le «Djoker» décide de revenir dans la bataille, vous ne le revoyez plus.

Après ce «reset» qui lui a fait le plus grand bien, le Serbe s’est inexorablement envolé vers la victoire. Le score des trois derniers sets de la partie est sans appel : 6-3, 6-2, 6-4. Stefanos Tsitsipas a bien essayé de se rebeller dans le dernier acte, exprimant toute sa frustration sur le court, mais le match avait définitivement tourné. D’ailleurs, le Grec n’a pas vraiment compris ce qu’il se passait sur le court après le passage aux vestiaires de Djokovic : «Je ne sais pas ce qu’il s’est passé là-bas… Quand il est revenu, il est soudain devenu un joueur différent. Il a vraiment bien joué, ne m’a plus donné d’espace. Physiquement, dans l’anticipation, je l’ai trouvé beaucoup plus frais. Il semblait pouvoir lire beaucoup mieux mon jeu d’un coup.»

Après plus de quatre heures de jeu, le Grec a fini par rendre les armes. A l’issue de cette finale, la pilule est difficile à avaler. Surtout qu’au-delà de la tournure dramatique de sa première finale de Grand Chelem, cette journée était aussi tragique pour d’autres raisons. Quelques heures après sa défaite, le Grec a révélé qu’il avait perdu sa grand-mère juste avant le début de sa finale. Pour Tsitsipas, c’était donc une journée particulièrement intense sur le plan émotionnel, mais elle est de celles qui vous font grandir. Et à n’en pas douter, au vu de son attitude exemplaire sur le court, l’avenir lui appartient.

DJOKOVIC, UN CHAMPION MAL-AIMÉ QUI S’EST CONSTRUIT DANS L’ADVERSITÉ

Quant à Novak Djokovic, il vient de laisser une sacrée trace dans l’histoire du tennis à l’issue de cette quinzaine parisienne. Premier joueur depuis 1949 à remonter deux fois deux sets de handicap en Grand Chelem, premier joueur de l’ère Open à remporter au moins deux fois chaque tournoi du Grand Chelem, premier joueur à réussir à battre Rafael Nadal deux fois à Roland-Garros… Bref, la liste de ses accomplissements est longue et impressionnante. Pourtant, au lendemain de l’incroyable week-end de Djokovic, débuté par son match d’anthologie contre Nadal et achevé par une incroyable remontée gagnante en finale, tout le monde ne parle que d’une chose : son passage aux vestiaires. Disons-le d’emblée, le Serbe n’a rien fait de répréhensible. Chaque joueur peut bénéficier de deux pauses, pour aller aux toilettes ou se changer, lors d’un match disputé au meilleur des cinq sets. Il n’a donc rien commis de mal du point de vue du règlement.

En revanche, il y a la règle et l’esprit de la règle… Si Djokovic s’est bel et bien changé, en revenant sur le court avec un haut rouge et un short blanc, soit l’inverse de sa tenue au début de la finale, il a surtout utilisé cette pause pour s’accorder du répit, pour se remettre l’esprit à l’endroit. Et en agissant de la sorte, le Serbe se doutait forcément qu’il allait casser la dynamique de Tsitsipas. Encore une fois, rien d’interdit, mais c’est ce qui s’appelle profiter du règlement. Peut-être faudrait-il d’ailleurs revoir ce dernier pour éviter des polémiques similaires… Mais Djokovic en a vu d’autres.

C’est même dans l’adversité qu’il puise sa force. Dans toutes les finales de Grand Chelem qu’il a pu jouer contre Federer ou Nadal, il n’a jamais eu le soutien du public. Mais il a retourné ce désamour à son avantage tout au long de sa carrière. Alors quand il a été à plusieurs reprises sous le feu des critiques pou avoir utilisé une chambre à oxygène, méthode controversée mais pas interdite par l’Agence mondial anti-dopage, il n’en a que faire… Pas plus lorsqu’il déclare qu’il est opposé à la vaccination obligatoire des joueurs contre le Covid-19 et qu’il déclenche un tollé génral. Novak Djokovic est un champion mal-aimé, un bad-boy qui ne veut pas en être un… C’est définitivement le «(D)joker» du tennis.