Quand Novak Djokovic s’est qualifié pour les quarts de finale de Roland-Garros en 2018 pour retrouver l’Italien Marco Cecchinato, la sensation du tournoi, il fallait être soit complètement fou, soit particulièrement clairvoyant pour imaginer une défaite du Serbe. Certes, le natif de Belgrade était loin de traverser la meilleure période de sa carrière, mais plutôt la pire. Après son sacre tant attendu à Roland-Garros en 2016, qui lui avait permis de détenir les quatre couronnes du Grand Chelem, il avait connu ce qui s’apparentait d’abord à un trou d’air avec une défaite prématurée au troisième tour de Wimbledon, puis une élimination dès son entrée en lice aux Jeux Olympiques de Rio. Son échec en finale de l’US Open contre Stan Wawrinka n’a rien arrangé à la situation, et encore moins celui en finale du Masters face à Andy Murray.

Malgré un succès en début d’année à Doha en 2017, contre Andy Murray de surcroît, Novak Djokovic avait pris la porte dès le deuxième tour de l’Open d’Australie à la surprise générale. Et le simple trou d’air s’est alors transformé en longue dépression… A Roland-Garros, le Serbe n’a en effet été que l’ombre de lui-même lors de son quart de finale contre Dominic Thiem, durant lequel il aura même encaissé une bulle (6-0) dans le troisième set. Au bout du rouleau, il avait même fini par abandonner face à Tomas Berdych en quarts de finale de Wimbledon. Dans la foulée, Djokovic sifflait la fin d’une saison cauchemardesque. Blessé au coude droit, le Serbe estimait qu’il était temps de stopper les frais inutiles et de se reposer. Depuis 2007, il avait toujours atteint chaque année au minimum le dernier carré d’un tournoi du Grand Chelem. Le coup d’arrêt est donc brutal.

En entamant l’Open d’Australie, on s’attendait ainsi à retrouver un Djokovic fringant prêt à lancer son opération reconquête. Il n’en a rien été. Encore gêné par un coude droit décidément récalcitrant, le Serbe, qui ne figurait plus dans le Top 10, avait dû rendre les armes dès les huitièmes de finale à Melbourne. Dans la foulée, il avait finalement décidé de se faire opérer pour en finir une bonne fois pour toutes avec ses problèmes de coude. Son retour à la compétition pour la tournée américaine tourne au fiasco. Défaite dès son entrée en lice à Indian Wells face au 109ème mondial, Taro Daniel. Bis repetita à Miami contre Benoît Paire (47ème). Sa saison sur terre battue laisse augurer un début d’éclaircie, avec notamment une demi-finale à Rome contre Rafael Nadal, mais on est encore loin du «Djoker» des grands jours. Toutefois, le Serbe, retombé à une 22ème place mondiale qui ne reflète pas son statut de champion, parvient à écarter Bautista Agut puis Verdasco à Roland-Garros pour se hisser en quarts de finale. On se dit alors que la machine infernale serbe commence doucement mais sûrement à repartir… mais c’était sans compter sur la folie émanant de la raquette d’un Italien, modeste 72ème mondial.

CECCHINATO N’AVAIT JAMAIS GAGNÉ UN MATCH EN GRAND CHELEM

Sur le court Suzanne-Lenglen ce 5 juin 2018, Marco Cecchinato n’a rien à perdre. Et pour cause, il avait débarqué Porte d’Auteuil sans avoir remporté le moindre match en Grand Chelem. A Paris, il était d’ailleurs parti pour en perdre un de plus face au Roumain Marius Copil au premier tour. Mené deux sets à rien contre ce dernier, le Transalpin s’en était tiré de justesse en l’emportant 10-8 au cinquième set. Après cette victoire libératrice, Cecchinato a pris confiance et s’est même payé le luxe d’écarter Pablo Carreno Busta puis David Goffin, à chaque fois en quatre sets avec en prime un cinglant 6-0 infligé au Belge, pour rejoindre Novak Djokovic en quarts de finale. Plus motivé que jamais par cette confiance accumulée sur la terre battue parisienne, l’Italien a pris presque facilement à la gorge le Serbe en remportant facilement le premier set puis en faisant le break dès l’entame de la deuxième manche.

Malmené, le «Djoker» s’est alors réveillé pour rééquilibrer les débats et même s’offrir des opportunités pour revenir à un set partout. Le Serbe s’est ainsi procuré trois balles de deuxième set sur le service de Cecchinato à 6-5 en sa faveur, sans toutefois parvenir à conclure. Solide sur le plan mental, l’Italien a ensuite maîtrisé le tie-break pour mener deux manches à rien. Au bord du gouffre, Djokovic a fait parler son orgueil de champion expédiant la troisième manche (6-1) en seulement 27 minutes. On pensait alors le Serbe parti pour réaliser une belle remontée, et plus encore lorsqu’il menait 5-2, puis 5-3, 30-0, dans le quatrième set. Mais là où le «Djoker» d’antan aurait tué le match pour assommer définitivement son adversaire, celui de 2018 a laissé une petite ouverture à Cecchinato qui n’a pas hésité une seule seconde pour s’y engouffrer et manger un peu plus le cerveau d’un Djokovic incapable de retrouver son instinct de tueur qui le caractérisait entre 2011 et 2016.

DJOKOVIC ET CECCHINATO, DESTINS CROISÉS

Après trois heures d’un combat déjà très agréable à suivre, le public du Lenglen s’apprêtait à vivre un moment magique avec un tie-break d’anthologie. A partir de 5-5 dans ce jeu décisif, un festival de trois points exceptionnels a mis la foule en transe. Cecchinato s’est d’abord procuré une première balle de match à l’issue d’un incroyable échange de 25 coups. Djokovic a répondu en sauvant celle-ci avec une superbe volée croisée de revers qui a fait lever le public parisien. Dans une ambiance de feu, le Serbe en a rajouté une couche avec un magnifique échange conclu par une volée réflexe au filet. Le Lenglen en redemandait ! Comme dans la deuxième manche, Djokovic parviendra dans ce tie-break à se procurer trois balles de set. Mais comme dans le deuxième set, il n’en convertira aucune. Le Serbe s’en est notamment mordu les doigts sur la troisième, lorsqu’il a catapulté son coup droit dans le ciel parisien alors que le plus dur était fait. Ce n’était pas le jour du «Djoker», c’était celui de Cecchinato. Sur sa quatrième balle de match, l’Italien retournera un service-volée de Djokovic avec un sublime passing de revers qui viendra atterrir dans l’angle du court. Au bout de 3h26 de jeu, l’Italien remportait le tie-break du quatrième set 13 points à 11 et réalisait un authentique exploit. Tombant à terre, le Transalpin peinait à prendre la mesure de son accomplissement.

Après cette rencontre, il n’a plus réussi à gagner le moindre match en Grand Chelem. Mais qu’importe, il n’oubliera pas cette belle histoire parisienne de sitôt. De son côté, Djokovic expédiera sa conférence presse quelques minutes après sa défaite contre l’Italien. Le Serbe avait émis des doutes sur sa partition à Wimbledon. Il sera finalement bien présent à Londres. Le «Djoker» remportera non seulement Wimbledon, mais aussi l’US Open les mois suivants. Le métronome serbe était de retour. Son revers inattendu à Roland-Garros avait réveillé en lui son esprit de compétiteur. Depuis ce printemps 2018, ses adversaires peuvent en témoigner.