Quand il s’agit d’évoquer Roger Federer à Wimbledon, on pense d’abord au bonheur. Et pour cause, le Suisse et le gazon londonien se marient à la perfection. C’est sur cette surface que son jeu d’exprime le mieux. Sur herbe, son service est encore plus efficace, son slice de revers casse davantage les pattes de ses adversaires et ses montées à la volée sont plus redoutables. C’est aussi à Wimbledon qu’il a signé son acte de naissance devant le monde entier en battant Pete Sampras, son idole et maître des lieux à l’époque, en 2001 avant de remporter son premier titre du Grand Chelem deux ans plus tard au même endroit. Federer se plaît sur le gazon de Londres et ça se voit. En 21 participations au Grand Chelem anglais, l’ancien n°1 mondial a gagné plus de 100 matches, disputé 12 finales et remporté 8 titres. Cela vous plante un personnage. Wimbledon, c’est le jardin, le paradis de Federer. Et pourtant…

Parfois, le paradis vert du Suisse dans ce quartier huppé de la capitale britannique est devenu un enfer. Car s’il a accumulé des moments de bonheur intenses à Wimbledon, parmi les plus beaux de sa carrière, c’est aussi sur ce même gazon londonien qu’il a vécu certains des pires moments de sa vie de joueur. Il ne faut d’ailleurs pas remonter bien loin pour s’en rendre compte…

LE TRAUMATISME DE LA FINALE 2019…

Lors de la dernière édition du Majeur anglais en 2019 (l’édition 2020 a été annulée à cause de la pandémie de Covid-19), le Suisse était passé à un point d’un 9ème titre historique lors d’un match de légende contre Novak Djokovic. Et plutôt deux fois qu’une… Malgré deux opportunités de signer une nouvelle page d’anthologie de son histoire déjà bien chargée, Federer avait vu le rêve se transformer en cauchemar en quelques minutes. Il avait fini par céder au tie-break du cinquième set. Le ciel lui était brutalement tombé sur la tête. Et s’il affirme le contraire, le Suisse s’est certainement réveillé avec de sacrés maux de tête au lendemain de cette finale mémorable… Toutefois, a-t-il vraiment réussi à fermer l’œil après ce dénouement si tragique ?

Si cette défaite rageante dans son jardin de Wimbledon, bien squatté par Novak Djokovic au cours de la décennie écoulée il faut bien le dire, est l’une des pires défaites de sa carrière, si ce n’est la pire, elle n’est cependant pas la première du genre sur le gazon londonien. Il y avait déjà eu une finale qui avait terriblement blessé l’Helvète bien des années auparavant. C’était en 2008 contre un certain Rafael Nadal… Encore aujourd’hui, ce match contre l’Espagnol est considéré par beaucoup d’observateurs comme l’un des plus beaux matches de tous les temps. Et comme l’un des plus mauvais souvenirs pour les fans du Suisse…

… APRÈS CELUI DE LA FINALE 2008 !

Après cinq titres consécutifs au All England Club, il retrouvait le Majorquin en finale pour la troisième fois de suite. Et si les deux premières ont tourné à l’avantage de Federer, celle de 2008 était bien partie pour tomber rapidement dans l’escarcelle de Nadal. En effet, celui qui était déjà n°2 mondial à l’époque avait remporté les deux premières manches, se rapprochant de facto d’un premier sacre sur le gazon londonien. Mais le Suisse s’est accroché, parvenant à combler son retard en s’adjugeant le tie-break du troisième set, avant d’en disputer un nouveau dans la quatrième manche. Et quel tie-break… Il s’agit d’un petit bijou, un bonbon, un délice… C’est peut-être le plus beau jeu décisif de l’histoire du tennis.

Durant celui-ci, Federer sauva deux balles de match, dont la seconde sur une merveille de passing de coup droit avant de remporter le tie-break. Mais dans une rencontre de légende, interrompue à plusieurs reprises par la pluie (le toit du Centre Court ne fut opérationnel qu’un an plus tard), Rafael Nadal est finalement venu à bout du Suisse dans la cinquième manche alors que l’obscurité gagnait le Central de Wimbledon. La balle de match victorieuse de l’Espagnol, disputée quasiment dans les ténèbres, a rendu l’instant encore plus dramatique… Magique pour Nadal, définitivement tragique pour Federer. Si Wimbledon a donné huit titres à l’Helvète, le Grand Chelem anglais lui a aussi infligé les deux pires défaites de sa carrière dans des finales de Grand Chelem, voire les deux pires défaites tout court.

TSONGA EN 2011 ET ANDERSON EN 2018, DEUX «PRESQUE-VICTOIRES»

Mais à Wimbledon, Roger Federer n’a pas seulement subi des défaites terriblement frustrantes en finale. Il a également perdu des matches d’une manière plus déroutante… Des matches dans lesquels il était largement au-dessus de son adversaire, des matches où tout se passait sans accroc, des matches où il menait deux manches à rien… La première fois que cela est arrivé, c’était en 2011 face à Jo-Wilfried Tsonga. Et alors que Federer semblait en contrôle, il a vu le Manceau revenir comme un boulet de canon dans la partie. Et inexorablement, le Français s’est envolé vers la victoire… Avant ce jour de juin 2011, jamais le Bâlois n’avait perdu un match en Grand Chelem après avoir mené deux sets à zéro. Mais depuis, il y en a eu d’autres, notamment ce quart de finale contre Kevin Anderson en 2018…

Celui-là est peut-être encore plus surprenant car Federer a fait mieux que de simplement mener deux sets à rien face au géant sud-africain. Il s’est même carrément retrouvé à un petit point de la victoire. Trois sets, deux petites heures de jeu et l’affaire était expédiée. Circulez, il n’y a rien à voir. Sauf que parfois, la mécanique suisse s’enraye d’une manière presque inexpliquée, par une déconcentration inconsciente… Et une fois cette opportunité envolée, le Suisse s’est montré de plus en plus fébrile, tandis que son adversaire montait en puissance. Pourtant, une fois Anderson revenu à hauteur, Federer semblait reprendre le dessus dans le cinquième set. Il n’en fut rien. A l’arrivée, le match s’est terminé par une défaite renversante, conclue 13-11 par le Sud-Africain après plus de quatre heures de jeu.

DE NOUVEAUX MOMENTS DE BONHEUR CETTE ANNÉE ?

Si cette défaite fut étrange, ce n’est rien en comparaison de ce qu’a vécu le Suisse un an plus tard en finale de Wimbledon avec ce dénouement cruel contre Novak Djokovic. Ce n’est rien non plus par rapport à son élimination surprise face à Sergiy Stakhovsky au deuxième tour en 2013. Tombé sur un Ukrainien en état de grâce, le Suisse avait pris la porte à la surprise générale. Si le Bâlois n’avait jamais semblé très serein dans cette rencontre, qui a vu trois jeux décisifs se disputer en quatre sets, l’onde de choc de ce revers fut sacrément retentissante. Et pour cause, cette défaite mettait fin à une incroyable série de 36 quarts de finale de suite en Grand Chelem. Mais c’était en 2013, une année noire pour le Suisse, que l’on annonçait déjà proche de la retraite…

Bref, vous l’aurez compris, Wimbledon est une terre de paradoxes pour Roger Federer. C’est le lieu de ses plus belles victoires, mais aussi de ses pires défaites. Avec huit titres au compteur, il y a tout de même largement de quoi se consoler. Demandez plutôt l’avis d’Andy Roddick qui doit encore faire des cauchemars de ses duels avec le Suisse sur le gazon londonien, et notamment de cette finale 2009… A bientôt 40 ans, et deux ans après sa terrible défaite en finale, Federer est de retour à Wimbledon. Et même s’il n’a pas beaucoup de certitudes au moment de débuter son tournoi, il espère s’offrir de nouveaux moments de bonheur au cours de la quinzaine londonienne. Mais pour cela, il faudra chasser quelques vieux démons…