Ce samedi, Sofia Kenin et Iga Swiatek se disputaient la Coupe Suzanne-Lenglen. Enfin… disputer est un bien grand mot car, sur la brique pilée de la Porte d’Auteuil, une femme a totalement éclipsé l’autre. En effet, la Polonaise n’a fait qu’une bouchée de son adversaire. À 19 ans, elle devient la plus jeune lauréate de Roland-Garros de ces 40 dernières années. Et la première à porter sa nation jusqu’au sacre en Grand Chelem. Décryptage d’une finale à sens unique. 

AU-DESSUS DU LOT

Le duel n’aura duré qu’un demi-set, à peine plus. Le temps que Sofia Kenin entre dans la partie, la Polonaise s’était déjà envolée pour mener 3-0. Dans ce début de match, il n’y a tout simplement pas eu photo. Iga Swiatek est parfaitement rentrée dans la rencontre quand l’Américaine semblait ailleurs. A seulement 19 ans et pour sa première finale dans un Majeur, la 54ème joueuse mondiale n’a pas paru impressionnée pour un sou. Au contraire, c’est l’Américaine, pourtant titrée à Melbourne en début d’année, qui a le plus souffert de l’enjeu de cette finale. D’ailleurs, leurs parcours opposés, limpide et supersonique pour Swiatek, beaucoup plus tortueux pour Kenin, ont fait de la moins bien classée des deux joueuses la favorite des bookmakers. Avec sa moyenne hallucinante de moins de quatre jeux concédés par match et 1h10 par tour sur le court, la Polonaise était plus qu’attendue. Elle a répondu plus que présente. 

Sauf qu’une finale de Grand Chelem n’a rien à voir avec un match lambda. Bien qu’avec très peu de public, l’enjeu est énorme et la tension fait vite trembler le bras de la joueuse qui prend les commandes du match. Le syndrome de la peur de gagner n’épargne personne, pas même la fusée Swiatek. La jeune Polonaise, peut-être elle-même impressionnée par son début de match canon, a ainsi offert son service à l’Américaine. On pouvait alors assez légitimement penser que, maintenant que Kenin était dans son match et que Swiatek avait vu son avance fondre au tableau d’affichage, la n°6 à la WTA avait repris l’avantage. Que nenni !

A 4-3, la Polonaise est parvenue à breaker à nouveau l’Américaine pour servir pour le gain du premier set. Un coup d’épée dans l’eau. Après quelques nouvelle fautes directes, Iga Swiatek a encore concédé sa mise en jeu. Qu’à cela ne tienne, la Polonaise est repartie de plus belle en retour. Face à la pression mise par son adversaire, Sofia Kenin s’est totalement désunie pour offrir le set à Iga Swiatek sur un plateau d’argent, le trophée du vaincu qu’elle n’avait pas encore reçu. 6-4, 53 minutes de jeu et l’impression que Kenin est un peu passée à côté.

CAVALIER SEUL

Gagner un titre après avoir perdu le premier set, l’Américaine sait faire. A Melbourne, pour remporter l’Open d’Australie, elle avait déjà laissé la première manche à son adversaire, Garbiñe Muguruza, sur le même score (6-4). Dans le deuxième set, Sofia Kenin, tête de série n°4, a donc essayé de sonner la révolte. Assez efficacement d’ailleurs puisque l’Américaine native de Moscou a tout de suite fait le break. Elle ne le savait pas encore mais Kenin ne gagnera plus un jeu dans cette finale.

Débreakée dans la foulée, la sixième joueuse de la planète a fait appel au médecin au changement de côté à 2-1 contre elle. Visiblement touchée à la cuisse gauche, elle avait plus de mal à se déplacer. Pendant que Sofia Kenin se faisait soigner, Iga Swiatek en a profité pour répéter ses gammes au service et rester active sur le court. Elle a pu aussi profiter des quelques applaudissements des rares supporters polonais dans les tribunes. Un moment qui a parfaitement mis en lumière la fraîcheur, la spontanéité et l’état d’esprit d’Iga Swiatek.

Au retour des vestiaires, Sofia Kenin était plus largement bandée à la cuisse gauche. Une tentative de soin peu fructueuse pour l’Américaine qui n’a jamais réussi à revenir dans le match. Accumulant les fautes directes (13 dans le deuxième set) pendant que la 54ème à la WTA offrait un récital de tennis (2 fautes directes pour 12 coups gagnants dans le second acte), Sofia Kenin n’a rien pu faire pour repousser l’échéance. La messe était dite.

Au final, Iga Swiatek s’est imposée 6-4, 6-1 en 1h24. La finale restera le match le plus long de la quinzaine de Swiatek, mais elle a pu rester dans ses standards en ne concédant que cinq jeux. Après la balle de match, la Polonaise s’est encore montrée touchante en rejoignant ses proches dans les tribunes pour les serrer dans ses bras, non sans avoir demandé au préalable l’autorisation à l’arbitre en raison des restrictions sanitaires en vigueur. La Coupe Suzanne-Lenglen a découvert sa nouvelle propriétaire, au sourire radieux visible jusque sous son masque au moment de brandir son trophée.

DES RECORDS A LA PELLE

La Polonaise était la première à représenter son pays en finale de Roland-Garros, ce qui constituait déjà un petit exploit. Elle est devenue aujourd’hui la première Polonaise à remporter un titre en Grand Chelem. Que ce soit chez les hommes ou chez les femmes, personne n’avait réussi à faire ce qu’a réalisé Iga Swiatek. Le tout à 19 ans seulement. Depuis 2007, aucune femme n’avait gagné Roland-Garros sans perdre un set. C’était à l’époque de Justine Henin, l’un des plus beaux palmarès belges de l’histoire de la petite balle jaune. Même Serena Williams ne peut se targuer d’une telle performance. Samedi après-midi, le court Philippe-Chatrier a vécu un moment rare dans l’histoire du tennis féminin, presque sans le réaliser. Discrètement, Iga Swiatek est rentrée dans la légende, par la grande porte assurément.

En ne cédant que 28 jeux durant le tournoi, elle a battu le record de Serena Williams en 2013, qui en avait concédé 29. Il faut donc remonter à 1988 et les 20 petits jeux laissés en route par Steffi Graff pour trouver une femme capable de faire mieux que la Polonaise. Les mots manquent pour décrire ce qu’a réalisé Iga Swiatek, qui est devenue par la même occasion la joueuse la moins bien classée à remporter Roland-Garros. Lundi, elle sera 17ème au classement WTA. Pour Iga Swiatek, c’est une nouvelle vie qui commence.

Chapeau bas Iga !