«Minuit sept, c’est cul sec !» La réplique n’est pas lancée par Fabio Fognini ou Nick Kyrgios en conférence de presse à l’issue d’une longue bataille nocturne sur la Rod Laver Arena à Melbourne ou le court Arthur-Ashe à New York… mais par Stan Wawrinka à Benoît Paire lors d’un live Instagram des plus comiques. Et oui, faute de tennis cosmique, les joueurs rivalisent d’ingéniosité pour se livrer à du «tenni-comique» à faire pâlir de jalousie Kev Adams et Jarry, amis de Stan Wawrinka.

Accompagné par Benoît Paire dans ses performances «instagramesques», le Suisse n’est pas le seul à occuper le devant de la scène sur le réseau social de Facebook pendant que la planète tennis retient son souffle à cause du Covid-19. Roger Federer s’amuse à faire des volées contre le mur pour lancer un défi à sa communauté et à des personnalités, aussitôt suivi par Novak Djokovic, Serena Williams, Lindsey Vonn ou encore Toni Kroos, Andy Murray enchaîne 100 volées de suite avec sa femme Kim, Grigor Dimitrov montre ses abdos à Venus Williams, Gaël Monfils enfile son costume de DJ, Jo-Wilfried Tsonga imite Gollum, Yannick fait un tuto pour fabriquer un masque avec une chaussette… A défaut de pouvoir amuser la galerie sur les courts aux quatre coins du globe, les joueurs ont trouvé sur Instagram un joyeux terrain de jeu pour faire rire leurs fans, mais aussi partager des anecdotes sur leur quotidien sur le circuit.

Il faut dire qu’Instagram est une application qui se prête parfaitement à l’exercice avec des fonctionnalités qui facilitent l’interaction entre les joueurs et leurs abonnés. Publications dans le feed, stories, lives, sondages, questions… Instagram a ajouté au fil du temps pléthore d’outils qui sont plébiscités par ses utilisateurs. A ce jour, le réseau social qui fait la part belle aux photos et aux vidéos revendique plus d’un milliard d’utilisateurs actifs mensuels, et la petite balle jaune en capte une petite partie. La planète tennis est bien loin de Kim Kardashian ou de Cristiano Ronaldo, stars absolues d’Instagram avec respectivement 166 millions et 214 millions d’abonnés, mais elle est l’une des communautés les plus animées en cette période de confinement.

LE «STANPAIRO», LE LIVE HILARANT DE PAIRE ET WAWRINKA

Si les quatre tournois du Grand Chelem (6,9 millions d’abonnés) et le «Big 3» (23,7 millions d’abonnés) ne cumulent que 30,6 millions d’abonnés, le tennis peut compter sur d’autres ambassadeurs pour se distinguer sur Instagram. Et pour cause, sur ce réseau social qui est en quelque sorte la vitrine marketing de nos vies, c’est à celui qui sera le plus original qui s’offrira une place sous les projecteurs. Et à ce petit jeu-là, ce sont probablement Stan Wawrinka et Benoît Paire qui sont les meilleurs. Peut-être bien malgré eux…

Tout est parti d’un simple FaceTime entre les deux acolytes. Et entre deux verres, une idée lumineuse leur est venue : «Mais pourquoi est-ce qu’on ne trinquerait pas avec nos abonnés ?» Cela aurait été triste de s’en priver car les discussions entre le Français, qui s’essaie par ailleurs à la dictée avec Agathe Auproux, et le Suisse, qui se démultiplie de son côté dans des photo-montages très réussis, sont particulièrement animées, entre souvenirs et anecdotes sur le circuit, tacles bien sentis sur certains collègues (qui jettent un œil amusé sur le live comme Félix Auger-Aliassime), piques pour chambrer en bonne et due forme… et évidemment un zeste d’alcool pour arroser tout ça ! Un cocktail gagnant qui donne lieu à des moments hilarants pour le plus grand bonheur des passionnés de tennis. En un rien de temps, le «StanPairo» est né. Et en ces temps moroses, on ne s’en plaindra pas.

La recette est simple donc, mais diablement efficace. Prenez par exemple un fil conducteur, à savoir le chiffre sept en référence au Get 27 qui rime étrangement avec sept et sec :

– Wawrinka : A minuit sept, c’est cul sec Ben !

– Paire : Ça rime, ça me va.

– Paire : A minuit 27, c’est l’heure du cul sec !

– Paire : A minuit 37, c’est l’heure du cul sec !

– Paire : A minuit 47, c’est l’heure du cul sec !

– Paire : A minuit 57, c’est l’heure du cul sec !

Ajoutez-y une petite blague suisse :

– Wawrinka : Tu sais ce que c’est le chibre ?

– Paire : Le quoi ?

– Wawrinka : Le chibre.

– Paire : Frérot, qu’est-ce que tu me dis là ?

– Wawrinka : C’est un jeu de cartes suisse.

– Paire : Non mais arrête gros.

– Wawrinka : Je te jure.

Distillez une anecdote croustillante :

– Wawrinka : Tu as déjà couché une heure avant un match ?

– Paire : Moi oui, ça m’a jamais dérangé.

– Wawrinka : Où ? Quand ? Avec qui ?

– Paire : Je ne dis pas. Il y a plein de villes.

– Wawrinka : Dis une ville.

– Paire : Paris. Juste avant le match. L’hôtel n’est pas très loin.

Glissez délicatement un instant de vérité :

– Wawrinka : S’il y a une demie Ben-Stan à Roland. Tu as une balle de match mais tu te blesses et tu sais que tu ne peux pas jouer la finale. Tu fais quoi ?

– Paire : Je joue le point à fond.

– Wawrinka : Ok, sympa.

– Paire : Stanley, toi t’as bien voulu me faire dégoupiller, hein connard.

Portez la touche finale :

– Wawrinka : Tu fais quoi si tu gagnes un Grand Chelem ?

– Paire : J’organise une énorme soirée !

– Wawrinka : C’est ce que j’ai toujours fait…

– Paire : Oh l’enculé ! Tu m’as jamais invité !

– Wawrinka : Bah t’étais plus dans la même ville. Les trois fois…

– Paire : Mais quel boulard putain !

Et vous obtenez un «StanPairo» réussi à consommer sans modération !

UN LIVE LABORIEUX MAIS MYTHIQUE ENTRE FEDERER ET NADAL

Si le Vaudois et l’Avignonnais ont trouvé le bon équilibre entre confidences et humour dans leurs lives, d’autres conversations sur le réseau social sont plébiscitées, mais pas forcément pour les mêmes raisons. C’est le cas notamment de l’échange entre Rafael Nadal et Roger Federer qui a bien failli n’avoir jamais lieu. Les deux légendes du tennis ont semblent-ils rencontré quelques difficultés pour maîtriser les fonctionnalités d’Instagram… Ils ont beau avoir amassé une belle collection de trophées sur le circuit et réussi à exécuter des coups de génie depuis de nombreuses années, ce n’est pas pour autant qu’ils sont des maîtres des réseaux sociaux.

Les galères de Rafael Nadal ont ainsi bien fait rire Andy Murray qui n’a pas manqué de lancer quelques piques «so british» pour se moquer gentiment de l’Espagnol. «C’est excellent… Il peut gagner 52 Roland-Garros, mais il n’arrive pas à faire marcher Instagram», a notamment écris l’Écossais dans les commentaires. Après avoir rencontré toutes les peines du monde pour établir la connexion avec Roger Federer, la conversation entre les deux meilleurs ennemis a pu enfin débuté. «Nous sommes trop vieux pour ces trucs !», a lancé Rafael Nadal alors que le Suisse ne savait visiblement pas si le problème venait de lui ou du Majorquin.

FEDERER À NADAL : «TU NE SERAS PLUS CAPABLE DE JOUER QUAND TU REPRENDRAS !»

Après cette entrée en matière laborieuse, l’Espagnol a pris des nouvelles de Federer, opéré du genou droit en février. «Lors des six premières semaines après l’opération, les progrès ont été rapides. Après, ça a été moins évident et là, ça va mieux. Mais vu la situation actuelle, pas de stress, pas besoin de précipiter les choses, j’ai plein de temps», a expliqué le Suisse. Avant d’ajouter : «Après la deuxième chirurgie, c’est plus facile. Tu es d’accord, non ?» Une remarque validée par Nadal, lui qui a subi de nombreuses opérations aux genoux durant sa carrière.

Sur un ton plus léger, le Bâlois a demandé à l’Espagnol s’il avait rejoué au tennis depuis l’interruption du circuit début mars. «Je n’ai pas touché une raquette depuis Indian Wells», a indiqué Nadal. Une réponse qui a permis au Suisse de lancer avec humour : «Parfait, tu ne seras plus capable de jouer quand tu reprendras !» Pour rappel, les deux champions sont au coude-à-coude en Grand Chelem. Roger Federer compte à ce jour 20 Majeurs à son palmarès, soit une petite unité d’avance sur le Majorquin qui doit sans doute prier pour que Roland-Garros soit maintenu fin septembre.

Après quelques minutes d’échange avec Roger Federer, Rafael Nadal, pas rancunier, a enchaîné en échangeant avec Andy Murray. L’occasion pour l’Espagnol et l’Écossais de partager leurs expériences respectives en matière d’e-sport alors que les deux joueurs vont se «retrouver» virtuellement sur les courts à l’occasion du Mutua Madrid Open Virtual Pro qui mettra aux prises 16 joueuses et 16 joueurs dans deux compétitions simultanées sur le jeu vidéo «Tennis World Tour» du 27 au 30 avril. Andy Murray pourra alors vérifier si Rafael Nadal est aussi injouable sur terre battue avec une manette derrière un écran qu’avec une raquette sur un court….

JO, GOAT, BIG 3 : LES CONFESSIONS DE DJOKOVIC

S’il y en a un du «Big 3» qui maîtrise bien Instagram en revanche, c’est bien Novak Djokovic. Depuis la semaine dernière, le Serbe est inarrêtable et enchaîne les lives avec ses collègues du circuit ATP. Le n°1 mondial a ouvert le bal en compagnie d’Andy Murray. L’occasion pour les deux joueurs de revenir sur des tournois qui leur ont laissé un goût amer. Le Britannique a choisi la finale de Roland-Garros en 2016… perdue contre le Djoker. «L’adaptation sur terre était la plus difficile pour mon jeu. Gagner Roland-Garros aurait été mon plus grand accomplissement», a estimé Andy Murray.

Les regrets sont peut-être bien plus grands chez Novak Djokovic, qui a mal vécu sa défaite dès le premier tour des Jeux Olympiques de Rio en 2016 contre Juan Martin Del Potro. «J’ai eu la chance de gagner les quatre Grands Chelems et tous les Masters 1000. J’ai gagné le bronze à Pékin en 2008, mais je me sentais très bien à Rio en 2016…», a révélé le Serbe. Malgré une victoire à Toronto avant les JO, l’été 2016 laissera un souvenir douloureux à Djokovic avec une défaite dès le troisième tour à Wimbledon et un revers en finale de l’US Open.

Le Serbe et l’Écossais ont également abordé la course au GOAT (Greatest Of All Time). Et ils n’ont visiblement pas exactement la même vision des choses… Pour Djokovic, «on ne peut pas comparer les générations». Du côté de Murray, la parole est plus nuancée, mais ça change tout : «Je suis totalement d’accord, sauf que les trois meilleurs joueurs de l’histoire appartiennent à la même génération. Donc on peut les comparer.» Le titre honorifique de GOAT, souvent attribué à Roger Federer, ne sera donc pas décerné avant plusieurs années, le temps que le «Big 3» prenne sa retraite.

WAWRINKA : «DANS UN FILM, IL NE PEUT PAS Y AVOIR TROIS GENTILS»

Après Andy Murray, le Serbe a enchaîné dès le lendemain avec Stan Wawrinka. Le Suisse a d’ailleurs signé une entrée en scène fracassante : «C’est l’effet corona qui te fait être à l’heure pour la première fois de ta vie ?» Durant ce live, «Stan The Man» était visiblement très en forme puisqu’il n’a pas hésité à mettre les pieds dans le plat en abordant la délicate question de la popularité du Serbe par rapport à celle des deux autres membres du «Big 3», Roger Federer et Rafael Nadal. Après la course au GOAT évoquée la veille avec Andy Murray, quoi de plus logique finalement ? D’emblée, le Serbe a reconnu que «ce n’est pas facile» d’avoir toujours le public contre lui quand il joue Federer ou Nadal. Mais il assure s’être libéré de cette situation : «C’était plus dur quand j’étais jeune, je trouvais ça injuste. En évoluant, j’ai appris à l’accepter. Ça a été un soulagement énorme.» Cela s’est vérifié sur le court avec des victoires de prestige contre le Suisse et l’Espagnol en Grand Chelem.

Le Serbe développe ensuite sa pensée par rapport aux deux autres membres du «Big 3». «Roger est sans doute le plus grand joueur de tous les temps. Je ne m’attends pas, tant qu’il jouera, peu importe l’endroit, à avoir le public avec moi. Ça me va parce que c’est Roger et c’est pareil avec Rafa. C’est compliqué pour moi de savoir pourquoi c’est comme ça. Est-ce que j’y ai contribué ? Je ne pense pas. C’est lié à l’excellence des deux. Ils sont charismatiques, sympas, humbles, ce sont deux grands champions», estime-t-il. Et à Wawrinka d’avoir le dernier mot : «Dans un film, il ne peut pas y avoir trois gentils.» On n’aurait pas dit mieux !

DJOKOVIC ET FOGNINI FAVORABLES AU COACHING SUR LE COURT… MAIS SANS MICRO

Sur Instagram, Novak Djokovic a poursuivi son marathon de lives avec Fabio Fognini, l’un des joueurs dont il est le plus proche sur le circuit. Le Serbe et l’Italien ont en effet déjà évolué ensemble sur le court en double. Alors que Fognini a donné son accord pour participer au nouveau circuit lancé par Patrick Mouratoglou, l’Ultimate Tennis Showdown, à partir du 16 mai prochain, les deux hommes en ont profité pour développer leur vision de l’avenir du tennis et de ses règles.

S’ils estiment que moderniser le tennis est une bonne chose, sans pour autant révolutionner le jeu avec des sets de quatre jeux ou le no-ad comme au Masters «Next Gen», les deux hommes ne veulent pas non plus tout dévoiler de leur intimité sur le court, sous prétexte que cela offrirait une expérience plus agréable pour les téléspectateurs. Oui pour le coaching sur le court, non pour les micros. «Il ne faut pas que tout le monde puisse entendre, car l’information peut très facilement parvenir à l’équipe de ton adversaire», a-t-on pu entendre dans la discussion. Pour Fabio Fognini, habitué à avoir un langage très fleuri sur le court, c’est peut-être préférable en effet. L’an passé à Wimbledon, l’Italien avait dérapé en plein match en lâchant : «J’aimerais qu’une bombe tombe sur ce club, une bombe devrait exploser ici.» Que Fognini se rassure, le tournoi anglais a été annulé cette année.

INSTAGRAM, DU MARKETING AU LOBBYING

Au cours de son live avec Fabio Fognini, Novak Djokovic a fait une annonce importante en rapportant qu’un fonds de soutien avait été créé pour venir en aide aux joueurs et joueuses les plus modestes du circuit, dont la carrière est menacée par l’épidémie de coronavirus. Ce fonds sera alimenté par l’ATP (circuit masculin), la WTA (circuit féminin), l’ITF (Fédération internationale) et les quatre tournois du Grand Chelem (Open d’Australie, Roland-Garros, Wimbledon et US Open). Selon Christopher Clarey, journaliste du New York Times, le fonds pourrait dépasser les 6 millions de dollars. «On ne réalise pas à quel point certains joueurs sont en difficulté. Beaucoup envisagent d’arrêter le tennis. Les joueurs (du Top 100) devraient afficher leur solidarité, montrer aux joueurs moins bien classés qu’on ne les oublie pas, qu’ils sont très importants», a indiqué le Serbe.

A cette occasion, il en a aussi profité pour inciter le Top 100 à se montrer solidaire vis-à-vis des joueurs mal classés. «On a discuté avec Roger et Rafa, on a proposé un modèle de financement mais c’est dur de mettre la pression sur les joueurs pour donner, je comprends qu’il y ait différentes opinions», a-t-il déclaré. Une référence au plan du «Big 3» pour venir en aide aux joueurs classés entre la 250ème et la 700ème place mondiale. Dans ce cadre, les 100 meilleurs joueurs en simple et les 20 meilleurs en double apporteraient chacun leur contribution à un fonds de solidarité en fonction de leur classement via un barème dégressif. A terme, le but est ainsi de verser 10 000 dollars aux joueurs concernés par cette opération. Mais ce n’est visiblement pas gagné…

Au final, Instagram sert à faire rire les fans de tennis, à les détendre, mais aussi à mettre la pression sur les acteurs du tennis qui ont les moyens d’aider les plus faibles. Véritable royaume publicitaire pour les marques, qui s’en donnent à cœur joie pour promouvoir leurs produits sur la plateforme via les influenceurs, Instagram se transforme en levier de pression pour les joueurs de tennis. Après le marketing d’influence, voici venue l’ère du lobbying.