En l’absence de Rafael Nadal, Dominic Thiem, Roger Federer et tant d’autres, la voie royale semblait toute tracée pour Novak Djokovic aux Jeux Olympiques de Tokyo. La médaille d’or du Serbe semblait davantage se concrétiser jusqu’au milieu du deuxième set de sa demi-finale contre Alexander Zverev. Et puis le ciel est finalement tombé sur la tête du n°1 mondial… A l’arrivée, c’est l’Allemand qui est reparti avec le titre olympique. Karen Khachanov et Pablo Carreño Busta complètent le podium. Un tiercé gagnant surprenant. Tout comme dans le tournoi féminin, où c’est Belinda Bencic, la compatriote de Roger Federer, qui est devenue championne olympique devant Marketa Vondrousova et Elina Svitolina. Les favorites, comme Naomi Osaka, qui a allumé la flamme olympique pour lancer officiellement les Jeux, Ashleigh Barty, Aryna Sabalenka ou encore Iga Swiatek, ont rapidement pris la porte. Disputer les Jeux Olympiques, ce n’est pas jouer un tournoi classique. Quand on se rate, il faut attendre quatre ans de plus (ou trois à cause du report des JO de Tokyo) pour retenter sa chance. Les Jeux, c’est un moment suspendu dans une carrière. Ce n’est pas Nicolás Massú, qui avait empoché l’or en simple et en double à Athènes en 2004 à la surprise générale, qui dira le contraire.

Car les Jeux Olympiques, c’est une histoire de surprises. En 2016, Monica Puig était sortie quasiment de nulle part pour aller chercher l’or devant Angelique Kerber et devenir ainsi la toute première championne olympique de l’histoire de Porto Rico. Toujours en 2016, Novak Djokovic avait pris la porte dès son entrée en lice contre Juan Martin Del Potro. C’est d’ailleurs face à ce même Argentin que le Serbe avait vu la médaille de bronze lui échapper lors de la petite finale aux JO de Londres en 2012. Cette fois-ci à Tokyo, pas de Del Potro à l’horizon, ni même de Nadal, de Federer ou de Thiem. Les planètes semblaient parfaitement alignées, surtout que le «Djoker» sortait d’un fabuleux enchaînement avec des sacres à Roland-Garros et Wimbledon qui lui avaient permis de réaliser un rarissime «Channel Slam».

Pour autant, Novak Djokovic a un peu traîné les pieds pour se rendre à Tokyo. Il faut dire que la perspective de jouer devant des tribunes vides à l’autre bout du monde, alors qu’il venait de quitter en vainqueur un Centre Court plein à craquer à Londres, ne risquait pas de l’enchanter. Même à Roland-Garros, malgré une jauge réduite, il avait pu disputer une bataille d’anthologie contre Rafael Nadal dans une ambiance électrique. A Tokyo, dans le complexe de l’Ariake Tennis Park, c’était la terrible ambiance de l’US Open 2020 à huis-clos qui était de retour. Pas de quoi rappeler de beaux souvenirs au Serbe… Surtout que les conditions de jeu étaient très loin d’être optimales.

L’ARIAKE TENNIS PARK TRANSFORMÉ EN SAUNA

Justement, parlons-en de ces conditions que l’on peut aisément qualifier de scandaleuses. Car pendant que certains se gelaient les miches dans le complexe dédié aux épreuves d’escrime, avec la climatisation à fond les ballons, la donne était bien différente sur les courts des JO de Tokyo. Une chaleur écrasante, une humidité délirante… De quoi mettre à rude épreuve les nerfs et le physique des joueurs engagés. Ça n’a pas manqué. Les voix se sont rapidement élevées pour dénoncer des conditions de jeu indignes d’un tournoi olympique. Novak Djokovic et Daniil Medvedev sont ainsi rapidement montés au front.

Dès l’entame du tournoi olympique, le Serbe s’est plaint de conditions extrêmes et a demandé en conséquence aux organisateurs de décaler le début des matches pour éviter la tant redoutée chaleur moite de Tokyo. Même son de cloche du côté du Russe, qui a dénoncé des conditions très difficiles, «parmi les pires» dans lesquelles il a évolué au cours de sa carrière. Lui aussi a appelé les organisateurs à repousser le début des matches, tout en se plaignant d’un temps de récupération trop court aux changements de côté. En effet, les joueurs n’avaient droit qu’à une minute de repos à Tokyo, contre une minute et trente secondes habituellement. Pourquoi une telle modification aussi stupide ? Seuls les dirigeants du tennis mondial ont la réponse… Et à l’évidence, ce ne sont pas eux qui ont foulé les courts dans la fournaise japonaise.

Avec cette chaleur et cette humidité extrêmes qui ont transformé le site olympique en sauna, ce qui devait arriver arriva. Il a fallu que la pauvre Paulo Badosa soit victime d’une sévère insolation lors de son quart de finale pour que les organisateurs entendent l’appel des joueurs. Écrasée par la chaleur étouffante de Tokyo, l’Espagnole a été évacuée du court en fauteuil roulant. Le même jour, Daniil Medvedev n’est pas passé loin de l’évanouissement lors de son huitième de finale face à Fabio Fognini. Dépité et agacé, le Russe avait lancé à l’arbitre : «Je peux finir le match, mais je peux mourir. Si je meurs, qui en assumera la responsabilité ?» Jouer un match de tennis vaut-il la peine de mourir ? Clairement pas. Même aux Jeux Olympiques.

Après ce mercredi noir, la Fédération internationale de tennis (ITF) a enfin décidé de réagir en repoussant le début des matches à 15h, au lieu de 11h, à partir du jeudi. Mais il ne restait plus que quatre jours de compétition et les trois quarts des joueurs n’étaient plus engagés dans les différents tableaux… Mieux vaut tard que jamais mais tout de même ! Si Djokovic ou Medvedev s’étaient effondrés sur le court dès leur premier match, peut-être que les organisateurs auraient réagi plus tôt… Bref, dans un tournoi qui souffrait déjà de l’absence de plusieurs têtes d’affiche, la polémique autour de ces conditions extrêmes n’a décidément pas véhiculé une belle publicité du tennis olympique, qui souffre depuis toujours de la comparaison avec les quatre tournois du Grand Chelem, considérés comme les quatre tournois les plus prestigieux du tennis.

DJOKOVIC ET LA TENTATION FATALE DU «GOLDEN SLAM»

Néanmoins, l’épreuve olympique de tennis pouvait compter sur la présence de Novak Djokovic, dont la seule raison de sa présence à Tokyo n’est autre que la tentation du «Golden Slam». Le Serbe a bien cru s’en approcher, mais c’était avant que la mécanique si bien huilée du Serbe depuis la fin du printemps ne s’enraye. Alors qu’il dominait sans forcer sa demi-finale contre Alexander Zverev, le «Djoker» a connu un spectaculaire coup de mou. En un éclair, son âge (34 ans) a semblé le rattraper. En réalité, ce sont surtout les efforts consentis depuis mai et la très lourde pression inhérente à sa quête d’histoire qui ont eu raison du natif de Belgrade. Novak Djokovic était sans doute à moitié cuit en arrivant à Tokyo. Mais la perspective d’un Grand Chelem doré a fini par le pousser à sauter dans l’avion pour le Japon.

Face à Zverev, Djokovic a perdu 10 des 11 derniers jeux de la partie et vu son rêve de médaille d’or s’envoler. Si cette issue était évidemment terrible pour celui qui paraissait intouchable, elle n’était pas non plus rédhibitoire. Le Serbe, qui s’est donc arrêté à 22 victoires consécutives, pouvait encore glaner deux médailles de bronze, en simple et en double mixte. Mais contre toute attente, il est reparti bredouille de Tokyo. Dans la petite finale contre Pablo Carreño Busta, le «Djoker» a même carrément dégoupillé en balançant sa raquette dans les tribunes avant de la fracasser dans le filet quelques minutes plus tard. Le Serbe avait tout donné, il n’en pouvait plus. Il voulait que ça s’arrête.

Ironie du sort, c’était déjà face à l’Espagnol qu’il avait été l’auteur d’un coup de sang il y a un an à l’US Open, en catapultant une balle dans la gorge d’une juge de ligne, ce qui avait entraîné sa disqualification du Grand Chelem new-yorkais. S’il s’est depuis repris en Grand Chelem, en remportant l’Open d’Australie, Roland-Garros et Wimbledon en 2021, il a raté le coche aux Jeux Olympiques. Car après sa défaite face à Pablo Carreño Busta, il a déclaré forfait pour la petite finale du double mixte. Le corps et la tête ont dit stop. En 24 heures, Novak Djokovic a tout perdu à Tokyo. Il devra maintenant attendre les JO de Paris en 2024. Et ce sera à Roland-Garros…

LE MASTERS, LES JO ET BIENTÔT UN GRAND CHELEM POUR ZVEREV ?

C’est bien connu, le malheur des uns fait le bonheur des autres. Et après avoir renversé de manière spectaculaire Novak Djokovic, Alexander Zverev s’est senti pousser des ailes en finale. C’est le malheureux Karen Khachanov, qui s’est cependant consolé avec une belle médaille d’argent, qui en a fait les frais. Balayé en deux sets (6-3, 6-1), le Russe n’a pu que constater la supériorité de l’Allemand. Il faut dire que quand «Sascha» est «in the zone», il peut battre n’importe qui. On avait pu le vérifier au Masters de Londres en 2018, lorsqu’il avait enchaîné des victoires sur Roger Federer et Novak Djokovic pour aller remporter le plus beau titre de sa carrière.

Alexander Zverev sacré champion olympique à Tokyo après avoir battu Karen Khachanov en finale. © ATP

Désormais, il peut mettre au moins à égalité son titre olympique aux côtés de son sacre londonien. Car si les tournois du Grand Chelem restent le «Graal» absolu pour tout joueur de tennis, les émotions que procurent les Jeux Olympiques sont uniques. Le joueur ne joue plus pour lui, mais pour son pays. Et quand on est le premier joueur allemand depuis Steffi Graff en 1988, l’année où elle a réalisé le fameux «Golden Slam» convoité par le «Djoker», à remporter une médaille d’or en simple pour son pays, Zverev n’a pu que se sentir honoré et privilégié de réaliser un tel accomplissement. Pour l’Allemand, il faut maintenant confirmer en Grand Chelem.

L’occasion se présentera dès la fin du mois à l’US Open, où il tentera de faire oublier son traumatisme de l’an passé. Opposé en finale à Dominic Thiem, il avait eu deux sets et un break d’avance avant de s’incliner au tie-break du cinquième set. Mais Alexander Zverev a bien grandi depuis et il est désormais champion olympique, un titre une fois n’est pas coutume qui échappe toujours à Djokovic. Avec un Serbe touché physiquement et mentalement qui peut toujours claquer un Grand Chelem calendaire, un Nadal revanchard et un Zverev avec une confiance à son zénith, l’US Open s’annonce passionnant…