Rafael Nadal qui perd deux fois sur terre battue en une seule journée, impossible ? Sur un court de tennis oui, mais pas derrière un écran. C’est en effet ce qui est arrivé à l’Espagnol cette semaine à l’occasion du Mutua Madrid Open Virtual Pro, la version virtuelle du Masters 1000 de Madrid, qui devait initialement se tenir la semaine prochaine dans le sud de la capitale madrilène avant que le Covid-19 ne s’emmêle. Les avions étant cloués au sol et les joueurs confinés à leur domicile, les manettes ont remplacé les raquettes, les bugs de connexion ont remplacé les abandons et Facebook a remplacé les chaînes de télévision.

L’idée de remplacer le Masters 1000 de Madrid par une épreuve sur jeu vidéo était assez brillante à bien des niveaux de la part des organisateurs du tournoi espagnol dans cette période délicate. En effet, ce tournoi virtuel représentait un moyen pour les joueurs de garder un lien avec les fans de tennis, en plus de leurs (très) populaires lives Instagram, tout en faisant une bonne action puisque l’épreuve virtuelle va permettre de distribuer 200 000 euros, dont 150 000 pour aider les joueurs fragilisés financièrement par la pandémie et 50 000 pour réduire l’impact social de cette dernière.

Benoît Paire a remplacé Gaël Monfils à la dernière minute dans le tableau masculin du tournoi virtuel de Madrid. © Mutua Madrid Open

L’E-SPORT AU CHEVET… DU SPORT

De plus, ce tournoi virtuel a permis aux athlètes des circuits ATP et WTA de montrer l’étendue de leurs talents manette en main en se testant directement avec leurs pairs. Une manière de conserver une once de compétitivité alors que la reprise de la saison paraît de plus en plus incertaine, comme n’ont pas manqué de le souligner récemment Stan Wawrinka et Rafael Nadal. Dans ce marasme ambiant, l’e-sport apparaît comme une roue de secours pour combler le vide laissé par l’arrêt brutal du sport. Si le sport électronique rime habituellement avec «League of Legends» ou «Fortnite», il rime désormais davantage avec les sports traditionnels qui se tournent vers le virtuel pour continuer à exister.

Ainsi, «FIFA 20» est devenu le terrain de jeu de prédilection des footballeurs sitôt la suspension des championnats européens annoncée, les Grands Prix virtuels ont remplacé les courses réelles alors que le championnat du monde de Formule 1 n’a toujours pas pu débuter, et «Tennis World Tour» sur PS4 est devenu la nouvelle enceinte virtuelle des joueurs de tennis pendant quatre jours pour accueillir le Mutua Madrid Open Virtual Pro où tout a été mis en œuvre pour proposer une expérience qui soit la plus immersive possible, aussi bien pour les joueurs que pour les fans.

On peut d’ailleurs saluer le travail réalisé par les organisateurs de ce tournoi virtuel pour proposer plusieurs heures consécutives de direct sur Facebook, avec un concept bien rodé mêlant matches, interviews post-match et interventions d’experts du tennis (joueurs, entraîneurs, journalistes…). Pour rendre les journées de compétition plus dynamiques, les organisateurs ont opté pour un format très court (un set en trois jeux gagnants) en phase de poules, légèrement rallongé par la suite (un set de six jeux gagnants des quarts à la finale).

Si les matches sur PS4 ne permettent pas de retrouver la tension et le niveau de jeu d’un vrai match sur un court physique, ils ont cependant été mis en valeur avec des commentateurs pour analyser le match en direct, comme dans un tournoi dans le monde physique, et la visoconférence pour voir et entendre les réactions des joueurs, certains se livrant même à du «trash-talking» bon enfant pour chambrer gentiment leurs adversaires. Cela a notamment permis de voir que Rafael Nadal était l’un des plus concentrés devant son écran, tandis qu’Andy Murray a renforcé sa réputation de joueur «funny» du circuit en glissant quelques remarques à l’humour «so british».

MONFILS FORFAIT, NADAL BATTU DEUX FOIS EN UN JOUR SUR TERRE BATTUE

Dans la «Caja Mágica» virtuelle recréée de manière assez fidèle sur «Tennis World Tour», le Britannique a d’ailleurs été l’un des joueurs les plus à l’aise avec une manette dans les mains, au même titre que Stefanos Tsitsipas et David Goffin, visiblement comme des poissons dans l’eau sur un court virtuel. C’est moins le cas pour Rafael Nadal qui a perdu deux matches sur terre battue en une seule journée pour la première fois de sa carrière, contre Andy Murray et Benoît Paire… L’ogre de l’ocre n’est visiblement pas aussi invincible derrière un écran. Dans le tableau féminin, Caroline Wozniacki, sortie «virtuellement» de sa retraite sportive, Sorana Cirstea et surtout Kiki Bertens ont quant à elles montré qu’elles étaient tout aussi performantes sur une PS4 que sur un court de tennis.

Sur la ligne de départ, il y avait au total 16 joueurs et 16 joueuses, avec un changement de dernière minute puisque Benoît Paire a remplacé au pied levé Gaël Monfils. A l’arrivée, c’est la Belge Kiki Bertens qui s’est imposée dans le tableau féminin. Elle a ainsi conservé «virtuellement» son titre acquis l’an passé sur la terre battue madrilène. Dans le tournoi masculin, c’est Andy Murray, visiblement très motivé, qui a raflé la mise après une finale de haute volée contre David Goffin.

Même si ce tournoi est virtuel, il a donné lieu à des scènes étonnantes. S’il y a eu quelques bugs pendant les matches, ce qui est largement compréhensible au vu de la pression que subit actuellement l’internet mondial en pleine période de confinement, Gaël Monfils a tout de même réussi l’exploit de déclarer forfait la veille du coup d’envoi du tournoi. Et pour cause, le Parisien a lancé au début du confinement une chaîne sur Twitch, plateforme avec laquelle il est désormais lié dans le cadre d’un partenariat. Or le tournoi madrilène étant diffusé sur Facebook Gaming, cela a forcément posé un problème de droits entre les deux plateformes de streaming…

Par ailleurs, des matches ont été reportés d’un jour sur l’autre, voire annulés, en raison de problèmes techniques. Tout le monde n’avait visiblement pas une connexion internet avec un débit suffisant pour jouer dans les meilleures conditions… C’est notamment le cas Dominic Thiem et Karen Khachanov qui ont été éliminés du tournoi à cause de leur mauvaise connexion. Leur forfait «technique» a donc engendré trois défaites sur le score de 3-0… Plus gênant encore, Andy Murray s’est qualifié pour la finale sans avoir à jouer sa demi-finale contre Diego Schwartzman, ce dernier rencontrant des problèmes techniques avec sa connexion internet qui l’empêchent de défendre ses chances… Cocasse.

MURRAY : «JE SUIS JUSTE MEILLEUR QUE LES AUTRES, C’EST LA RÉALITÉ»

Loin de la tension que l’on peut apercevoir en Grand Chelem ou en Masters 1000, la bonne humeur et l’humour étaient évidemment de la partie dans ce tournoi virtuel. Une nouvelle fois, Andy Murray a amusé la galerie, notamment lors d’un échange avec Feliciano López, après sa victoire contre Alexander Zverev en quarts de finale. A une question de Feliciano López lui demandant si le tournoi avait été trafiqué pour qu’il puisse l’emporter, le Britannique a répondu avec un grand sourire : «Je suis juste meilleur que les autres, c’est la réalité.» Visionnaire.

Dans le même registre, Fabio Fognini n’est pas mal non plus. Lors de sa défaite contre Diego Schwartzman, l’Italien a lancé de manière très spontanée : «Il ne bouge pas ! Paie la connexion Flavia (Pennetta, sa femme) !»

Drôle également la réaction de Benoît Paire après sa victoire contre Rafael Nadal… «C’était un rêve de battre Rafa sur terre et c’est chose faite ! PS : c’était sur PlayStation mais bon !»

NADAL ENCORE BLESSÉ ? LA MAUVAISE BLAGUE DE FELICIANO LÓPEZ…

Feliciano López, le directeur du tournoi de Madrid, y est aussi allé de sa petite blague dès le premier jour du tournoi en assurant que Rafael Nadal s’était blessé. Une blague crédible dans la mesure où l’Espagnol n’a pas été épargné par les blessures au cours de sa carrière. Mais face à l’inquiétude grandissante de ses fans, Feliciano López, pas peu fier de sa farce, a finalement démenti l’information quelques heures plus tard. «Les gars, je plaisantais, bien sûr… J’ai dit que Rafa avait une blessure au dos à cause de la pression de jouer sur la PS4. Il faudrait avoir un certain sens de l’humour, s’il vous plaît ! Au passage, il a montré de belles compétences en jouant au tennis virtuel», a ainsi écrit le compatriote du triple tenant du titre à Roland-Garros.

On a également bien rigolé devant les vidéos des joueurs montrant leur arrivée dans le salon en tenue de match avec le sac sur le dos, transportant non pas des raquettes mais leur précieuse manette.

Mention spéciale à Belinda Bencic pour sa mise en scène particulièrement réussie !

«TENNIS WORLD TOUR», UN JEU DÉCEVANT POUR UN TOURNOI DE PRESTIGE

Si dans l’ensemble ce tournoi virtuel a été plutôt une réussite, on pourra cependant regretter que le jeu qui l’a hébergé ne soit pas à la hauteur de l’événement. Et pour cause, «Tennis World Tour» paraît bien pâle face au regretté «Top Spin 4», encore considéré aujourd’hui comme la référence ultime de la simulation de tennis. Il faut dire que «Tennis World Tour» a été commercialisé par Bigben Interactive en mai 2018 alors que le jeu «n’était terminé qu’à 20% à quelques semaines de sa sortie», selon les dires d’Alain Falc, le patron de l’éditeur français, dans les colonnes du Monde. Pourquoi un tel empressement pour un lancement si «chaotique» ? Tout simplement pour lancer le jeu juste avant le début de Roland-Garros alors que les campagnes marketing étaient déjà engagées.

Si plusieurs défauts ont été corrigés depuis et quelques améliorations apportées pour offrir une meilleure expérience aux joueurs, on reste encore bien loin du niveau d’un «Top Spin 4», pourtant sorti il y a presque une décennie. Dommage pour «Tennis World Tour» qui bénéficie avec ce tournoi virtuel de prestige d’une publicité gratuite inespérée… On ose espérer qu’un nouvel opus beaucoup plus abouti est en préparation. Toujours est-il qu’à défaut pour l’instant de pouvoir observer Federer, Nadal et consorts s’affronter aux quatre coins du globe, revoir Nadal et Murray se tirer la bourre, même virtuellement, cela fait du bien. Dans ce cadre, «Tennis World Tour» a au moins le mérite d’exister. Le tournoi virtuel de Madrid fera peut-être des émules. Si la saison ne reprend pas, cela pourrait peut-être donner des idées à Bercy…