Alors que l’ATP et la WTA sont à l’arrêt jusqu’au mois de juillet (au moins), les initiatives tennistiques se multiplient pour aider les moins bien classés, avec notamment des dons provenant de personnalités de la petite balle jaune. Nombreux sont ceux aussi qui planchent sur la méthode à adopter pour reprendre la compétition. Et voilà qu’en plein tumulte, l’une des figures du bord de court, Patrick Mouratoglou, tente un énorme coup de poker et sort de sa manche l’Ultimate Tennis Showdown. Une compétition en marge de l’ATP qui nourrit l’ambition de devenir un circuit parallèle, ni plus ni moins.

Mais quelle mouche a donc piqué l’entraîneur de Serena Williams ? Dans une interview accordée à Franceinfo, il explique vouloir «créer quelque chose de complètement novateur» avec une formule plus attrayante que les matches traditionnels pour séduire les jeunes, les fameux Millennials, qui sont friands des formats courts et dynamiques. Las des duels interminables, le jeune public ne s’intéresserait plus aux formats de type Grand Chelem selon lui. Convaincu que «le tennis gagnerait à s’ouvrir» davantage, le coach tricolore profite de ce break tennistique pour faire tapis en proposant un projet auquel il croit «depuis des années».

L’Ultimate Tennis Showdown sera ainsi lancé le 16 mai à Nice, quelques jours seulement après la fin du confinement strict en France (en théorie). 10 matches auront alors lieu tous les week-ends, et ce pendant cinq semaines. Au total donc, 50 matches sont donc prévus sur la French Riviera jusqu’à l’été. «Ça m’intéresse de proposer le tennis de demain, et profiter de cette période un peu sinistre pour faire ce spectacle», détaille le Français. Et ce n’est qu’un début.

Il se place à contre-courant de Rafael Nadal, qui a lui aussi proposé d’accueillir le monde du tennis dans son académie à Majorque, alors que s’amorce doucement la sortie de crise sanitaire. Mais pour l’Espagnol, pas question de voler la vedette ou d’entrer en concurrence avec l’ATP (ce dont se défend d’ailleurs Patrick Mouratoglou), il s’agit surtout de permettre aux joueurs de parfaire leur condition, comme il l’explique dans un communiqué : «Si dans les mois à venir, on peut utiliser l’académie pour aider d’autres joueurs professionnels, je serais enchanté qu’ils viennent s’entraîner et jouer. Bien qu’il n’y ait aucun tournoi prévu à court terme, je pense qu’en s’affrontant entre nous, nous pourrions entretenir notre niveau de jeu pour être prêts à la reprise du circuit.» Des affrontements là-aussi potentiellement retransmis en direct. Mais encore une fois, il est ici question d’entraînement. Le circuit du Français a, lui, pour but de s’exporter mondialement, aux États-Unis, en Australie ou encore en Asie.

CONVAINCRE LE MONDE DU TENNIS

Profitant de sa Mouratoglou Academy qui a déjà accueilli des tournois Future, le coach de Serena Williams n’a pas à chercher d’infrastructures. Reste à convaincre les joueurs, les sponsors, mais aussi les diffuseurs, lui qui souhaite «une diffusion mondiale» de sa compétition. Pas d’inquiétude à ce sujet d’ailleurs selon lui, puisque ce sera le seul sport diffusé en direct. Par conséquent, les diffuseurs devraient «s’arracher ce programme», même si pour l’instant aucun diffuseur n’est annoncé. Évidemment, la première partie de ce tournoi se déroulera à huis-clos, sans le moindre spectateur. Tout va donc reposer sur la capacité à retransmettre la compétition.

En France, les chaînes qui pourraient s’y intéresser ne sont pas légion. Eurosport, diffuseur principal du tennis en France, pourrait-il se laisser tenter ? France Télévisions tentera-t-il un grand coup ou est-ce Canal+ qui tirera les marrons du feu ? Le doute plane encore aujourd’hui. A moins qu’une plateforme de streaming, comme Amazon Prime Video (diffuseur de Roland-Garros à partir de 2021), ne vienne s’immiscer dans la lutte pour les droits d’une compétition dont on ne sait, pour l’instant, pas grand chose…

PAS DE PUBLIC MAIS DE L’ÉMOTION

Son parti pris est simple : montrer le tennis «sous un nouveau jour, avec beaucoup plus d’interactions et d’émotions sur le court». Pas étonnant alors de voir Benoît Paire parmi les trois premières têtes d’affiche. «Le coaching et les interactions sur le court amèneraient beaucoup plus de piquant, de vie. On connaîtrait beaucoup mieux les joueurs car on les verrait interagir à des moments importants», ajoute Patrick Mouratoglou, soulignant au passage que «100% des joueurs» à qui il a présenté le projet «n’ont pas hésité une seconde». Le premier match programmé, entre Alexei Popyrin (dont le père est à l’origine du projet) et le Belge David Goffin le 16 mai, nous donnera donc une idée plus précise de ce que veut produire le coach français avec l’UTS.

D’autre noms devraient suivre dans les jours à venir, Stefanos Tsitsipas en tête. Le Grec de 21 ans, déjà 6ème mondial à l’ATP et membre par ailleurs de la Mouratoglou Academy, semble être le profil parfait du joueur intéressé par cette compétition. Un profil similaire à celui de Daniil Medvedev, Russe de 24 ans et 5ème à l’ATP, qui s’entraîne lui aussi sur la Côte d’Azur. Une chose est sûre, c’est que son circuit n’est pas qu’une simple exhibition et veut s’inscrire dans la durée. «Ce n’est pas un one-shot du tout, c’est une ligue qui va durer tout au long de l’année, avec que des top-joueurs, du prize-money, des points pour le tournoi UTS et à la fin de l’année un champion du monde UTS et un classement.» Les joueurs, naturellement compétiteurs et attirés par l’enjeu, seront faciles à convaincre et la formule trouvera certainement grâce à leurs yeux.

SUR UN PLATEAU D’ARGENT

Autre intérêt, l’argent (évidemment) qu’offre cette nouvelle ligue à des joueurs actuellement sans revenus. Patrick Mouratoglou attend donc de n’avoir que des «top-players» mais dit en parallèle s’inquiéter pour la situation des joueurs les moins bien classés ? Difficile d’y voir une certaine cohérence, même si l’UTS prône sur son site internet «une meilleure redistribution pour les joueurs moins bien classés» et un système globalement «centré sur les joueurs». Dans ce contexte, la volonté d’aider les moins bons tout en voulant attirer des joueurs capables de gagner des titres paraît alors quelque peu fragilisée et illogique. Nous sommes loin de l’idée du «Big 3» (Federer, Nadal et Djokovic) qui repose sur l’union sacrée entre l’ITF, l’ATP, la WTA, les Grands Chelems et les meilleurs joueurs mondiaux pour redistribuer de l’argent aux joueurs dont la carrière est en péril à cause du Covid-19. Chacun cotiserait donc un peu pour que les joueurs dans une situation financière délicate, placés entre la 250ème et la 700ème marche mondiale, puissent toucher 10 000 dollars et continuer à pratiquer le tennis au niveau professionnel.

Dans un entretien accordé à Tennis Majors, l’entraîneur de Serena Williams raconte aussi comment l’idée est arrivée jusqu’à lui. «Alex Popyrin (le père du joueur australien de 20 ans, qui s’entraîne à Nice dans la Mouratoglou Academy) est venu me voir et m’a proposé cette incroyable idée, sur laquelle il avait déjà beaucoup travaillé. Il m’a demandé si je voulais me lancer dans cette aventure avec lui et, en lisant son programme, je me suis dit que c’était exactement ce qui manquait à notre sport». Attirer les jeunes, c’est l’objectif numéro 1 du Français, en produisant du spectacle avec des joueurs moins intimidés qu’ils ne le sont sur le circuit traditionnel. «À la fin de ces cinq semaines, on s’assoira autour d’une table, on regardera ce qui a marché, ce qui n’a pas marché, et on verra comment faire évoluer le format. Il ne faut pas oublier qu’il y a une probabilité que ce soit le seul tennis qu’on puisse voir de la saison !», abonde Patrick Mouratoglou à Tennis Majors.

DE STRICTES RÉGLEMENTATIONS SANITAIRES

Quoi qu’on puisse penser de cette tentative de prise de pouvoir tennistique par un loup aux dents acérées pendant que l’institution sommeille, des contraintes sont à respecter, il en va de la santé et de la sécurité des joueurs, du staff, mais aussi des ramasseurs de balles et des juges de ligne. Pour cela, Patrick Mouratoglou a tout prévu. «Premièrement, nous testerons tout le monde», assure l’organisateur, sans évoquer la manière dont il se procurera les tests, ni remettre en question leur fiabilité alors même que c’est actuellement une question centrale du corps médical. «Puis nous leur demanderons de rester 15 jours confinés avant de les tester à nouveau au moment de débuter la compétition.»

Autre mesure, évidente, l’absence de public (ce qui devrait fortement réduire le prize-money du tournoi). Les entraîneurs pourront peut-être assister au match, mais sans être assis côte-à-côte. Les joueurs seront chacun assis d’un côté du terrain pour pouvoir tourner sans se croiser et les ramasseurs de balle porteront des gants. Enfin, «chaque joueur aura ses balles avec une marque différente pour les différencier, le joueur A ne pourra pas toucher les balles du joueur B et inversement». Une mesure intéressante mais qui paraît assez inutile dans la mesure ou les ramasseurs, eux, toucheront toutes les balles. C’est d’ailleurs un bon moyen de rappeler l’intérêt limité de porter des gants et leur capacité à transmettre, malgré tout, le virus. Mais certes, à défaut d’être idéales, ces mesures ont au moins le mérite d’exister.

UNE CHAISE OU UN BANC DE TOUCHE ? 

On l’a bien compris, Patrick Mouratoglou veut faire du tennis-spectacle, un show à l’américaine pour attirer les jeunes. Pour réussir cela, il table sur des innovations diverses, dont certaines sont intéressantes. «Je veux que l’entraîneur puisse être en bord de terrain, le physio et le coach mental aussi. La famille, les parents, la petite amie pourraient tous être présents», détaille le Français, ajoutant que pouvoir écouter ce que peuvent se dire l’entraîneur et le joueur serait «un bon moyen de mieux comprendre le tennis», et il faut bien reconnaître qu’il a plutôt raison sur ce point. Mais ce «banc de touche» personnalisé semble un peu farfelu, pour ne pas dire fourre-tout.

Le coaching, technique comme mental d’ailleurs, fait partie de ce dont le tennis pourrait avoir besoin, il ne faut pas être fermé à tout type d’évolution. Mais les parents ? La petite amie ? Et pourquoi pas une bande de potes ou un barista pour faire des cocktails si l’heure du «StanPairo» arrive ? La beauté du tennis réside parfois dans sa solitude. Cette gestion du moment, ce combat intérieur, c’est là que ce sport se démarque des autres. Pas en faisant des mamours sur le bord du court. En attendant de pouvoir réunir tout ce petit monde autour du joueur à chaque changement de côté, l’intérim sera assuré par un casque audio permettant au joueur de parler avec son entraîneur, un peu à l’image de ce qui est déjà mis en place lors du Masters «Next Gen».

JEAN-MICHEL COACHING

Le coach de Serena Williams veut aussi permettre au public d’interagir concrètement avec le match. Comme par exemple «permettre aux fans de poser des questions aux joueurs à certains changements de côté du genre ‘pourquoi tu t’es énervé à 30-15 ?’ ou partager un moment». Encore une fois, inclure davantage le public est une idée intéressante. Mais à nouveau, la manière proposée pose question. L’intérêt de cette bascule d’un côté à l’autre du court réside dans l’équité entre les deux joueurs face aux conditions de jeu (vent, soleil, etc.), mais aussi et surtout dans l’opportunité de se reposer et de se reconcentrer. Prenons un exemple plausible.

Un joueur s’énerve à 30-15, finit par se faire breaker après trois points éreintants. Il retourne s’asseoir sur sa chaise et met sa serviette sur sa tête. Il rentre dans sa bulle, respire et se repose, chasse ses pensées négatives, et tente de revenir sur le court plus fort. Cela marchera ou pas. Mais il aura essayé. Mettons maintenant en place l’idée de l’UTS. Arrivé à son changement de côté, son coach lui dit un mot, sa petite amie lui dit un mot. Sa mère lui dit un mot. Puis il doit parler avec un fan, qui va lui demander des explications alors même qu’il ne peut pas répondre à sa question à chaud. Et puis, comment choisir ? Imaginons un immense succès populaire. Quel fan aura le droit de poser sa question ? A quel moment ? Combien de questions pourront être posées ? Comment être sûr qu’il ne cherche pas à le déstabiliser ? Cette idée soulève beaucoup d’interrogations.

Revenons maintenant à notre exemple. A la fin du changement de côté, le joueur reviendra-t-il sur le court reposé, les idées claires ? Ou embrouillé par les discours et le devoir de se justifier ? Chaque chose en son temps. Il faut laisser le joueur jouer, et discuter après, à froid, la tête reposée. Au moins avec le temps de l’analyse. Il en va de l’égalité des chances mais surtout de l’esprit même du tennis.

Beaucoup d’observateurs s’accordent à dire que le tennis doit évoluer et les raisons sont multiples. La preuve, aujourd’hui les quatre tournois du Grand Chelem se disputent sous des formats différents. Mais l’essence est là. Le tennis, c’est un sport où la victoire se cache dans la préparation, dans l’abnégation, mais surtout dans la gestion personnelle de son corps et de ses émotions. Si Toni Nadal, Xisca (sa femme), Carlos Moya et qui sais-je avaient été présents sur le bord du court lors des 12 sacres de Rafael Nadal à Roland-Garros, le Majorquin aurait-il réussi un accomplissement aussi incroyable qu’en le réalisant seul sur l’ocre ? Rien n’est moins sûr. Ce sport met en valeur des hommes capables d’exploits retentissants. Pas une troupe, uniquement là pour chouchouter son protégé sur le court.

Patrick Mouratoglou a laissé son cœur de français romantique au vestiaire pour développer son appât du gain et l’entertainement à l’américaine. Oubliez le Nadal-Federer à Wimbledon en 2008, oubliez toutes les rencontres épiques du «Big 3» ces dix dernières années. Oubliez l’arrivée de Murray, les quelques éclats de Stan Wawrinka. Oubliez les deux balles de match de Roger face à Djokovic l’an passé sur le gazon londonien. Mais rassurez-vous, grâce à l’UTS vous entendrez la petite amie de Benoît Paire le conseiller quand il pétera les plombs lors de ses changements de côté. C’est peut-être la seule raison pour laquelle vous pourrez dire merci à Patrick Mouratoglou.