2020 a été l’année du changement comme l’a prouvé la victoire de Dominic Thiem à l’US Open. Quid de 2021 ? L’année de la «Next Gen» ? Cette hypothèse a pris encore un peu plus de consistance à Melbourne avec une demi-finale particulièrement excitante entre Daniil Medvedev et Stefanos Tsitsipas, deux jeunes loups du tennis mondial qui semblent enfin prêts à croquer la victoire en Grand Chelem. Si le Russe partira favori de cette opposition de styles, tant il dégage une sérénité absolue et une puissance tranquille depuis plusieurs mois, il ne faut pas sous-estimer le Grec qui vient de remporter la plus grande victoire de sa carrière contre Rafael Nadal. A Melbourne. Comme il y a deux ans contre Roger Federer.
Si Stefanos Tsitsipas n’a que 22 ans et encore une belle et longue carrière devant lui, une ville est d’ores et déjà liée pour toujours à l’Athénien. Cette ville, c’est Melbourne, la capitale de l’État de Victoria qui accueille l’Open d’Australie. Tout a débuté il n’y a pas si longtemps, il y a deux ans exactement. A l’époque, Tsitsipas n’a que 20 ans et pointe déjà au 15ème rang mondial au classement ATP. Tout le monde ou presque le sait, le Grec est un petit bijou qui a largement les capacités d’illuminer les courts de tennis du monde entier, mais encore faut-il éclore…
TSITSIPAS-FEDERER, L’ACTE FONDATEUR
Lorsqu’il arrive à Melbourne en janvier 2019, le jeune Stefanos sait encore qu’il a tout à prouver malgré son titre au Masters «Next Gen» à Milan à la fin de la saison 2018. Et sa défaite contre le vétéran italien Andreas Seppi à Sydney juste avant l’Open d’Australie lui rappelle tout le chemin qui lui reste à parcourir pour jouer dans la cour des grands. Le Grec ne le sait pas encore, mais c’est à Melbourne quelques jours plus tard qu’il va y entrer de manière spectaculaire.
Dans le premier Grand Chelem de la saison 2019, Tsitsipas vit un début de tournoi assez difficile contre Matteo Berrettini, autre étoile montante du tennis mondial, mais finit par s’en sortir en quatre sets. Contre Viktor Troïcki au deuxième tour, pourtant modeste 200ème mondial, il lâche encore un set en route, puis encore un autre face à Nikoloz Basilashvili. Un parcours loin d’être aussi flamboyant que son jeu, mais l’essentiel est fait. Il a tenu son rang et s’est offert le droit de défier Roger Federer, le double tenant du titre. La rencontre s’annonce spectaculaire quand on connaît l’amour des deux joueurs pour le jeu offensif, mais personne n’imagine ce qu’il va se produire…
Contre toute attente, pas impressionné pour un sou par son adversaire du jour, 20 titres du Grand Chelem au compteur, Stefanos Tsitsipas livre un match exceptionnel. Et malgré la perte du premier set à l’issue d’un tie-break étouffant (13-11), le Grec ne se laisse pas abattre et continue d’agresser le Suisse. Sale gosse. Sa persévérance va être récompensée… Dans une rencontre où le niveau de jeu ne cesse de s’élever, l’Athénien de 20 ans plie mais ne rompt pas dans la deuxième manche alors que le Suisse n’est pas loin de l’assommer pour de bon. Au bord de la rupture, Tsitsipas sauve des balles de break, et même des balles de set, dans tous les sens, et finit par empocher ce deuxième set en maîtrisant parfaitement le jeu décisif (7-3). C’est le tournant du match. L’insolence et l’insouciance de la jeunesse…
La Rod Laver Arena commence alors à se demander qui est ce génie grec qui ose contrecarrer les plans du roi Roger. Mais le public australien n’est qu’au début de son ébahissement car Tsitsipas, galvanisé par le gain de la deuxième manche, est définitivement lancé vers la victoire. Il verrouille le troisième set avant de remporter la mise à l’issue d’un nouveau tie-break dans la quatrième manche. A 20 ans, Stefanos Tsitsipas signe le premier exploit majuscule de sa jeune carrière. Et inévitablement, ce huitième de finale en rappelle un autre. Celui de Roger Federer à Wimbledon contre Pete Sampras en 2001. Il s’agissait là de l’acte fondateur de la carrière colossale du Suisse. A Melbourne, ce fut celui de Tsitsipas.
NADAL PUIS WAWRINKA, LES DEUX CLAQUES QUI ONT CONSTRUIT TSITSIPAS
Après cette victoire ô combien prestigieuse, Tsitsipas confirme face à Roberto Bautista Agut pour s’ouvrir les portes du denier carré, où l’attend un certain Rafael Nadal. Mais le doux rêve de battre Federer et Nadal dans le même tournoi s’évapore en un clin d’œil sur la Rod Laver Arena. Le Grec se fait tout simplement atomiser par l’Espagnol. Le score est sanglant : 6-2, 6-4, 6-0. Choqué par la claque qu’il vient de recevoir, le Grec apparaît complètement perdu en conférence de presse. «J’essaie de comprendre comment Federer a fait pour le battre», se demande alors Tsitsipas… Qu’il se rassure, il trouvera rapidement la solution. Et l’Athénien s’est même payé le luxe de battre le Majorquin sur terre battue, et en Espagne ! Quel culot ! Dans un match où il aura rayonné par son panache hors du commun, Tsitsipas est parvenu à faire tomber Nadal à Madrid, juste avant Roland-Garros. Une performance exceptionnelle, bientôt suivie d’une autre, aussi superbe que dramatique, sur la terre battue parisienne.
A Roland-Garros, le Grec s’apprête en effet à vivre la défaite la plus douloureuse de sa carrière. Pas de raclée au programme, mais une bataille d’anthologie contre Stan Wawrinka. Sur un court Suzanne-Lenglen en fusion, les deux joueurs livrent un match exceptionnel. Mais au bout de cinq sets à l’intensité délirante et plus de cinq heures de combat, Tsitsipas finit par rendre les armes. Le Grec a eu sa chance mais c’est Wawrinka qui a su la saisir en venant conclure la rencontre sur un passing slicé de revers glissé au millimètre. Un match qui illustre à lui seul la beauté et la cruauté du tennis. «Je n’ai jamais expérimenté quelque chose comme ça. Il y a longtemps que je n’avais pas pleuré après un match…», dira l’Athénien après ce huitième de finale si déchirant. Démoli mentalement par ce revers, il traversa les mois suivants comme un fantôme. Il enchaîna les défaites prématurées, notamment à Wimbledon et à l’US Open où il prit la porte dès son entrée en lice. Un ressort mental s’était lourdement cassé dans la tête de Tsitsipas.
Après cette traversée du désert, le Grec retrouve petit à petit l’envie de jouer au tennis avec une belle tournée asiatique (finale à Pékin et demi-finale à Shanghaï). Juste à temps pour se sentir bien au moment d’aborder le premier Masters de sa carrière. Sur les bords de la Tamise, dans l’O2 Arena de Londres, l’Athénien redevient virevoltant et bat avec autorité Daniil Medvedev et Alexander Zverev avant de céder en trois manches dans un match sans enjeu contre Rafael Nadal. Après ce léger contretemps, le Grec finit le «Tournoi des maîtres» comme un boulet de canon avec une victoire nette et sans bavure sur Roger Federer et une finale magnifique remportée en trois sets contre Dominic Thiem. Un coup de prodige, un coup de maître ! Et ainsi s’acheva la saison 2019 de Stefanos Tsitsipas…
UNE PREMIÈRE REMONTÉE RATÉE DE PEU CONTRE DJOKOVIC
D’emblée, l’année 2020 a été très différente pour le Grec avec une défaite dès le troisième tour de l’Open d’Australie. Un coup d’arrêt assez rude, bientôt suivi d’un autre : la pandémie de Covid-19. Dommage, car il s’était parfaitement relancé en allant chercher le titre à Marseille puis la finale à Dubaï. Rageant, mais c’est la preuve que l’Athénien était parvenu à construire un ressort mental assez solide pour rebondir après un échec frustrant. Du mental pour rebondir, c’est justement ce qu’il lui faudra après avoir été éliminé au troisième tour de l’US Open par Borna Coric, alors qu’il s’était procuré… six balles de match ! «C’est probablement la chose la plus drôle et triste à la fois qui me soit arrivée dans ma carrière», écrira le Grec sur Twitter dans la foulée de cette défaite cruelle. Une de plus après son combat homérique perdu contre Stan Wawrinka à Roland-Garros un an plus tôt… Depuis le traumatisme parisien, Stefanos Tsitsipas n’est plus parvenu à faire mieux qu’un troisième tour dans les tournois du Grand Chelem. Mais heureusement, Roland-Garros arrive pour permettre de poser les bases de l’exploit à venir en ce mois de février 2021…
Mais restons un instant en 2020 pour évoquer le Roland-Garros automnal de Tsitsipas. Dans cette édition particulière, marquée par la fraîcheur des températures Porte d’Auteuil, bien éloignées de sa Grèce chérie, l’Athénien réalise un parcours propre, marqué par des succès faciles contre Dimitrov et Rublev, pour se hisser dans le dernier carré. Opposé à Novak Djokovic, le Grec se retrouve impuissant et rapidement mené deux manches à rien. Mais là où il aurait lâché quelques mois plus tôt, il n’abdique pas et se fait même violence pour revenir dans la partie. Il sauve ainsi une balle de match dans le troisième set, efface son break de retard et prend une nouvelle fois le service du Serbe pour relancer totalement le match. Sur sa lancée, le Grec empoche la quatrième manche et embarque Djokovic dans un cinquième set qu’il n’avait pas vu venir. Malheureusement, le physique de Tsitsipas dit stop et l’Athénien doit s’incliner. Mais ce n’est que partie remise…
DE LA «DÉMONTADA» À LA «REMONTADA»
Tout ceci nous amène à cet Open d’Australie 2021. Figurant parmi les outsiders face aux favoris que sont Djokovic et Nadal, le Grec ne passe pas loin de la sortie dès le deuxième tour. La faute à un Thanasi Kokkinakis particulièrement accrocheur qui a réussi à l’embarquer dans un cinquième set alors que l’Athénien n’a pas cédé une seule fois son service de toute la partie ! Les paradoxes du tennis… Mais mentalement, ce Stefanos c’est du très solide. Et après cette frayeur, sa balade contre Mikael Ymer (6-4, 6-1, 6-1) puis le forfait de Matteo Berrettini avant son huitième de finale ont permis à Tsitsipas de tranquillement récupérer pour aborder son quart de finale contre Rafael Nadal dans les meilleures conditions physiques… et mentales.
Pourtant, l’entame de match face à l’Espagnol est catastrophique. Pas du tout dans le rythme, le Grec voit défiler les points et les jeux à la vitesse de la lumière. Fantomatique sur le court, il est spectateur de la démonstration de Nadal qui mène logiquement deux manches à rien. Et dans ces conditions, difficile, pour ne pas dire impossible, d’imaginer un retournement de situation. Un seul joueur est parvenu à remonter un handicap de deux sets de retard contre le Majorquin en Grand Chelem. Il s’agit de Fabio Fognini à l’US Open en 2015. Les statistiques et la logique ont beau être contre lui, Tsitsipas va les faire mentir. Sortant enfin de sa torpeur, il s’est accroché pour tenir sa mise en jeu tout au long du troisième set. Alors que sonnait l’heure du tie-break, on voyait mal cependant comment le match pouvait échapper à Nadal. Et pourtant…
Avec quelques erreurs grossières de l’Espagnol et un Tsitsipas plus appliqué, le vent a commencé à tourner. Totalement relancé, le Grec en a même profité pour chiper le service de son adversaire dans la quatrième manche et ainsi décrocher un cinquième set quasiment inespéré. Mais contrairement à Roland-Garros contre Djokovic, le physique de Tsitsipas n’a pas couiné. Et le Grec ne s’est pas privé pour commettre un crime de lèse-majesté en allant chercher le gain de la rencontre (3-6, 2-6, 7-6, 6-4, 7-5) face à un Nadal qui doit se demander comment il a pu perdre un match qu’il dominait si facilement, et plus encore après avoir remporté 35 sets consécutifs en Grand Chelem.
Oui mais voilà, ce Stefanos Tsitsipas a grandi. Il a mûri, il a appris. «Toute la journée, je me suis senti très détendu. Je ne sais pas pourquoi mais dès le moment où je me suis levé, j’étais très calme. Et ça a été pareil pendant le match, je suis toujours resté serein. Peut-être que l’absence de public m’a aidé à me sentir comme ça, à ne pas ressentir de stress. Je ne sais pas. Mais en tout cas je suis très fier de mon attitude aujourd’hui. C’est un signe de maturité et une force», a d’ailleurs confirmé le Grec après son exploit. Après sa «démontada» contre Nadal en 2019 sur cette même Rod Laver Arena, voici la «remontada». Deux ans après son acte fondateur contre Federer, le Grec a signé son acte de confirmation. Le voilà prêt pour devenir un grand dans la cour des grands. Pour Tsitsipas, tous les chemins ne mènent pas à Rome, mais à Melbourne. Une ville sainte dans laquelle l’icône grecque se plaît à battre les icônes du tennis.