«Je n’ai jamais expérimenté quelque chose comme ça. Il y a longtemps que je n’avais pas pleuré après un match…» Prononcés par un Stefanos Tsitsipas complètement effondré, ces mots traduisent l’incroyable décharge émotionnelle que vient d’encaisser le Grec après une bataille d’anthologie de plus de cinq heures perdue sur le fil face à San Wawrinka à Roland-Garros l’an passé. Sur le papier, ce huitième de finale était le plus alléchant. On s’attendait à une sacrée bataille entre deux des plus beaux revers à une main du circuit, ce fut un véritable combat de gladiateurs avec un engagement et une qualité de jeu à couper le souffle.

Il faut dire que les deux joueurs montaient en puissance depuis quelques mois. Opéré du genou gauche à deux reprises en 2017, notamment pour résorber un trou dans le cartilage, Stan Wawrinka a traversé 2018 comme une ombre. Mais qu’importe, il était de retour sur les courts, et c’était déjà beaucoup. Avec ses pépins physiques, les rumeurs de retraite du Suisse allaient bon train. Et il s’en est en effet fallu de peu pour que Wawrinka range au placard «Stanimal»… «Tous les jours, je me battais contre la douleur. C’est à l’entraînement que j’ai souffert le plus. Et sans Pierre Paganini (son préparateur physique qu’il partage avec Roger Federer), j’aurais arrêté ma carrière», disait-il fin 2017. Et pour ne rien arranger à la situation, Magnus Norman, l’entraîneur qui a su le magnifier, avait mis un terme à leur collaboration. C’est donc le moral dans les chaussettes que le compatriote de Roger Federer retrouva la compétition en 2018.

«SANS PIERRE PAGANINI, J’AURAIS ARRÊTÉ MA CARRIÈRE»

Mais après un an d’errance sur le circuit, Stan Wawrinka reprend peu à peu des couleurs en 2019, avec notamment une finale à Rotterdam. Les résultats ne sont pas encore au rendez-vous, mais le Suisse propose à nouveau des séquences de jeu supersoniques, qui laissent augurer des jours heureux dans un futur proche. Retombé à une triste 261ème place mondiale un an plus tôt, il retrouve un classement plus digne de son standing (28ème) avant Roland-Garros, la terre de son deuxième sacre en Grand Chelem en 2015. Ainsi, après seulement quatre victoires sur terre battue en quatre tournois, «Stan The Man» retrouve son explosivité et sa confiance avec des victoires probantes contre le Chilien Cristian Garin (6-1, 6-4, 6-0) et surtout Grigor Dimitrov lors d’un match très accroché (7-6, 7-6, 7-6) en deux jours et 3h16 de jeu.

Dans la foulée de son succès contre le Bulgare, le Suisse déclare sa flamme au tennis : «J’aime le tennis, j’aime le jeu, j’adore jouer sur un court comme aujourd’hui, avec plein de gens autour, dans un tournoi du Grand Chelem. Quand j’étais enfant, mon rêve était de jouer à Roland-Garros. Quand vous avez mal, vous ne savez pas quel va être le niveau auquel vous allez revenir. Il faut vous concentrer sur vos rêves d’enfant.» Il ne le sait pas encore mais il s’apprête à délivrer une déclaration d’amour encore plus belle à son sport de prédilection le lendemain…

UN WAWRINKA EN RECONSTRUCTION CONTRE UN TSITSIPAS EN PLEINE ASCENSION

Sous un soleil de plomb, Stan Wawrinka doit faire face à l’étoile montante du circuit, à savoir Stefanos Tsitsipas. Après une impressionnante progression lors de la saison 2018, où il est passé de la 91ème à la 15ème place mondiale, le jeune Grec a signé son acte de naissance lors de l’Open d’Australie 2019 en éliminant Roger Federer à l’issue d’un match monumental en huitièmes de finale. A Roland-Garros, c’est un autre Suisse que Tsitsipas doit défier au même stade la compétition, mais sa destinée dans cette rencontre sera autrement différente… Le match, en revanche, sera encore plus grandiose. Pour le meilleur et surtout pour le pire pour l’Athénien.

Car avant d’en venir au cinquième set, joué dans l’atmosphère bouillonnante du Suzanne-Lenglen, la frustration a commencé à germer côté grec dès le premier set. Dans ce premier acte très tendu, où les échanges étaient déjà de qualité, Tsitsipas a en effet eu sa chance dans le jeu décisif. Mais au lieu de virer en tête dans ce match, le Grec n’a non seulement pas réussi à convertir sa balle de set mais a en plus offert la première manche à Wawrinka sur une double-faute. Rageant. Dans un deuxième set, dans lequel les deux joueurs ont continué à s’envoyer des parpaings, le Grec est parvenu à revenir à hauteur du Suisse, non sans mal (7-5) à l’issue d’une bataille de 77 minutes. Mais l’Athénien n’allait pas tarder à courir à nouveau derrière le score, Wawrinka parvenant à enlever la troisième manche (6-4). Tsitsipas lui répondait dans la foulée en prenant le quatrième set (6-3) sur une ultime amortie parfaitement déposée derrière le filet.

UN CINQUIÈME SET SENSATIONNEL CONCLU PAR UNE BALLE DE MATCH IRRÉELLE

Alors que l’horloge approchait des quatre heures de jeu, on aurait pu craindre une baisse de régime des deux côtés. Il n’en fut rien. Ce fut même un déluge de points exceptionnels, mêlant merveilles de revers à une main, demi-volées et amorties. Au lieu d’amener de la crispation, la fatigue a apporté un relâchement total aux deux joueurs pour donner naissance à un festival de points somptueux. Pourtant, Wawrinka a frôle la correctionnelle à l’entame de la cinquième manche, en étant mené 0-40 sur son premier jeu de service. Mais le Suisse sauva ces trois balles de break pour prendre les commandes de ce dernier acte. Au total, il sauvera huit balles de break dans le cinquième set, dont trois dans un jeu d’anthologie à 5-5 durant lequel Tsitsipas aura même tenté un plongeon désespéré. La chance du Grec était passée. Wawrinka, lui, ne ratera pas la sienne à 7-6 en sa faveur. Sur sa deuxième balle de match, le Suisse glissait un passing slicé de revers déposé au millimètre. Tsitsipas a voulu voir la balle faute, mais l’arbitre lui confirmait qu’elle avait bien mordu la ligne. Dénouement irréel pour un match sensationnel. «Je suis revenu de blessure pour des moments comme ça, c’est la raison pour laquelle je joue au tennis», lâchera Wawrinka quelques instants après sa victoire devant un public forcément comblé.

Stefanos Tsitsipas a tout tenté contre Stan Wawrinka, y compris un plongeon désespéré dans le cinquième set. © Nicolas Gouhier/FFT

«Stanimal» était bel et bien de retour, au détriment d’un Stefanos Tsitsipas, héros malheureux d’une véritable tragédie grecque, malgré un point gagné de plus que son adversaire (195 contre 194 pour Wawrinka). L’apprentissage de la gloire est parfois douloureux. Totalement abattu par cette défaite, le Grec sera victime d’un sacré trou d’air dans les mois suivants, en prenant la porte dès son entrée en lice à Wimbledon et à l’US Open. Mais il se consolera en fin d’année avec une superbe victoire au Masters de Londres, où il aura écarté Medvedev, Zverev, Federer et Thiem. Pendant que Wawrinka parachevait à Roland-Garros sa reconstruction après sa blessure, Tsitsipas commençait tout juste la sienne pour atteindre les sommets.