On ne va pas se mentir, ce Wimbledon, cuvée 2021, restera historique. Car en remportant un vingtième titre du Grand Chelem sur le gazon du All England Club, Novak Djokovic a réussi à faire ce qui paraissait encore impossible à envisager il y a encore quelques années : égaler Roger Federer et Rafael Nadal. Les trois monstres pèsent à eux trois 60 titres du Grand Chelem. Cela représente 15 ans de Majeurs qui sont tombés dans leur escarcelle. C’est monstrueux, vertigineux, délirant.

Mais plutôt que de simplement parler de cet accomplissement hors normes du Serbe, sur lequel tout a été dit ou presque, je préfère dans ce papier m’attarder sur les répercussions de cette édition particulière de manière plus large. Des répercussions très nostalgiques je vous l’accorde, mais après plus de quinze ans à suivre le tennis jour et nuit avec la génération dorée que l’on connaît, comment éviter cette douce mélancolie ? Mais soyons clair, le «Djoker» a écrit une sacrée page de l’histoire de son sport en devenant le co-détenteur du record de titres en Grand Chelem et s’apprête à en écrire d’autres, tant sa fraîcheur physique et sa science tactique sont toujours aussi désarmantes à 34 ans.

Novak Djokovic après son sixième sacre à Wimbledon. © Wimbledon

Plus impressionnant encore, avec l’âge qui avance, le natif de Belgrade semble avoir atteint une forme de sérénité inébranlable, une sorte de plénitude tennistique qui le rend hermétique à toutes les ondes négatives qu’il peut y avoir autour de lui. En se construisant dans l’adversité, celle des autres joueurs du circuit évidemment, mais surtout celle du public, qui n’a toujours eu de l’admiration que pour Saint-Roger et Saint-Rafa, il est devenu intouchable. Reste à voir s’il le sera toujours à Tokyo et à l’US Open pour un incroyable «Golden Slam», comme il l’a été lors des trois premiers tournois du Grand Chelem de la saison.

Mais derrière ce Djokovic sur une autre planète, ce Wimbledon conserva un goût doux-amer. Car il a donné l’impression d’assister au chant du cygne de Roger Federer et Andy Murray, deux légendes du tennis qui ont toujours été les chouchous du public anglais. Et malgré le soutien exceptionnel, parfois même hystérique, de leurs fans dans les tribunes, ces deux joueurs d’exception ont fini par redevenir des humains sur le gazon londonien.

MURRAY, UN GUERRIER QUI FAIT TANT PLAISIR

Certes, cela fait un moment qu’Andy Murray n’est plus le joueur si coriace que l’on a connu, à cause de cette satanée hanche qui l’a fait tant souffrir. Certes, Roger Federer revient d’une double opération au genou droit et ne parvient plus à enchaîner les matches en cinq sets comme à la belle époque. Mais c’est véritablement lors de ce Wimbledon 2021 que les deux champions ont laissé transparaître une forme de résignation. Andy Murray avait déjà goûté à cette sensation début 2019, lorsqu’il était à deux doigts de raccrocher sa raquette à cause de sa hanche avant de finalement tenter l’opération de la dernière chance. Mais cette fois, c’est la réalité du terrain qui a parlé.

Avant de quitter Wimbledon au troisième tour, Andy Murray a régalé le public anglais. Je vais être honnête, il m’a régalé aussi. Car malgré tous ses pépins physiques de ces dernières années et une préparation laborieuse pour le Grand Chelem londonien, le Britannique a littéralement enflammé le Centre Court. Au premier comme au deuxième tour, face à Nikoloz Basilashvili puis contre Oscar Otte, l’Écossais s’est superbement battu dans l’ambiance électrique de sessions nocturnes improvisées. Tout n’était pas parfait évidemment. Il y avait du déchet, beaucoup même. Mais il y avait surtout une rage exceptionnelle, une passion dévorante, un feu sacré en lui qui ne demandait qu’à brûler de manière incandescente, encore et encore…

Voir un tel champion se bagarrer de la sorte, y compris face à des adversaires qu’il aurait pris plaisir à écrabouiller par le passé, cela suscite le respect et surtout de l’émotion. Car Murray n’a plus rien à prouver. Il a réussi à rivaliser avec des extraterrestres à une période où l’on disait que c’était quasiment mission impossible. Il a été membre du prestigieux «Big Four». Et malgré ça, il continue de se battre de manière endiablée devant son public. Aurait-il été aussi transcendé dans un autre tournoi ? Probablement pas. Mais c’était à Wimbledon et il n’y avait pas d’autre d’option dans la tête du Britannique. Tant mieux pour nous. Évidemment, sa défaite sèche au troisième tour contre Denis Shapovalov était aussi logique que triste. Elle a même carrément plongé Murray dans une forme de «spleen», pour ne pas dire de renoncement. Au point de se demander si tous les efforts et les sacrifices consentis pour revenir valaient le coup ? Lui n’est pas convaincu, mais nous, nous le sommes. Merci Andy pour toutes ces belles émotions.

La rage d’Andy Murray lors de son match face à Oscar Otte au deuxième tour de Wimbledon. © Wimbledon

FEDERER, L’ENCHANTEMENT AVANT UNE CLAQUE HISTORIQUE

Si on peut remercier Andy Murray, on peut aussi remercier Roger Federer. Pas besoin de rappeler que le «Maestro» est l’un des meilleurs joueurs de tous les temps, si ce n’est le meilleur, avec ses vingt titres du Grand Chelem, dont huit à Wimbledon. Et avec une préparation très faible (deux matches à Halle), il est parvenu à rallier les quarts de finale du Grand Chelem londonien. A presque 40 ans, c’est quand même sacrément fort. Pourtant, le Suisse a bien failli se prendre les pieds dans le tapis dès son entrée en lice face à un Adrian Mannarino décomplexé, avant que celui-ci ne soit victime d’une glissade fatale sur le gazon capricieux du Centre Court.

Mais après cette frayeur inaugurale, le Bâlois a paru rajeunir de nouveau, d’abord en enchaînant des coups de génie contre Richard Gasquet, avant d’afficher une rage de vaincre spectaculaire face à Cameron Norrie. Vainqueur ensuite de Lorenzo Sonego lors du «Manic Monday», les rêves les plus fous commençaient à être permis, y compris celui de remporter un 21ème titre du Grand Chelem. Et puis le quart de finale contre Hubert Hurkacz est arrivé… Impuissant contre le Polonais, Federer a violemment pris la porte en trois petits sets. Pire, il a encaissé une «bulle» dans la troisième manche. Une défaite terrible inédite pour le Suisse, qui a quitté le Centre Court sous une énorme standing-ovation. Était-ce pour réconforter une légende ou saluer son départ ? Seul le temps le dira.

20 ANS APRÈS SAMPRAS…

Ironie du sort, cette claque douloureuse est intervenue presque vingt ans, jour pour jour, après la victoire de Roger Federer contre Pete Sampras sur ce même gazon du Centre Court. A l’époque, il s’agissait de l’acte de naissance du Suisse aux yeux du monde entier et d’une passation de pouvoir entre l’ancien et le futur maître des lieux. Sans faire offense à Hubert Hurkcaz, qui a livré une superbe prestation contre l’ancien n°1 mondial, difficile d’y voir une passation de pouvoir entre le Polonais et le Suisse dans ce quart de finale vingt ans plus tard. Comme pour mieux caractériser le caractère unique d’une légende qui a défié plusieurs générations. La logique aurait voulu qu’il laisse la place à Rafael Nadal ou à Novak Djokovic, il a préféré se transcender pour les affronter.

A bientôt 40 ans, l’insouciance de 2001 a laissé place à la sagesse de 2021. L’heure du dernier coup de raquette approche, Federer le sait. Et dans notre for intérieur, on a tous envie qu’il soit victorieux. En attendant ce dernier coup d’éclat, c’est donc la nostalgie qui prédomine à la sortie de ce Wimbledon. Nostalgie de la glorieuse époque de Federer et Murray. Nostalgique aussi des traditions de Wimbledon qui vont se perdre, comme la fin du «Middle Sunday», sacrosainte pause dominicale au milieu du tournoi, et du «Manic Monday», où tous les huitièmes de finale étaient disputés en une seule journée… Vraiment, ce Wimbledon restera unique.