Le «(D)joker» a encore frappé. Point de Joaquin Phoenix à l’horizon, mais un Novak Djokovic toujours aussi diabolique qui a une fois de plus écœuré la concurrence à Melbourne. Sur la Rod Laver Arena, le Serbe a décroché dimanche son huitième sacre à l’Open d’Australie, portant ainsi à 17 son nombre de titres en Grand Chelem pour revenir à deux unités de Rafael Nadal (19) et à trois du record de Roger Federer (20). Depuis son spectaculaire passage à vide entre 2017 et 2018, le dauphin de Rafael Nadal au classement – il repassera devant l’Espagnol ce lundi matin – est en pleine bourre. Sur les sept derniers tournois du Grand Chelem, il en a remporté cinq, laissant seulement deux victoires à Rafael Nadal à Roland-Garros et à Flushing Meadows l’an passé.

A Melbourne, Novak Djokovic avait faim, après une fin de saison 2019 marquée par son échec dans la reconquête de son trône. Au Masters de Londres, Roger Federer et surtout Dominic Thiem, dans une rencontre épique, avaient douché les espoirs du Serbe pour laisser Rafael Nadal partir en vacances avec le costume de leader du classement sur les épaules. Ironie du sort, Roger Federer et Dominic Thiem se sont une nouvelle fois dressés sur la route de Novak Djokovic en Australie, mais le dénouement a été bien différent.

Le natif de Belgrade n’a pas eu à forcer son talent contre le Suisse, diminué physiquement après ses deux batailles renversantes et éprouvantes face à John Millman et Tennys Sandgren. En revanche, la finale contre l’Autrichien n’est pas passée loin de tourner au vinaigre. Quand Novak Djokovic était mené deux sets à un ce dimanche matin, la catastrophe était toute proche, surtout que le Serbe est apparu étonnamment nerveux sur le court. Il est d’ailleurs passé tout près de la correctionnelle, lorsqu’il a commencé à perdre les pédales à la fin du deuxième set.

DAMIEN DUMUSOIS, LE FACTEUR X

Car non seulement, Dominic Thiem a haussé le ton après un premier set dans lequel il s’est montré trop timoré, mais c’est surtout l’attitude de Novak Djokovic vis-à-vis de l’arbitre qui a interpellé. Et pour cause, le temps de quelques minutes, la Rod Laver Arena a cru revivre l’incroyable psychodrame de la finale féminine de l’US Open 2018, au cours de laquelle Serena Williams avait littéralement pété les plombs face à l’arbitre Carlos Ramos. A New York, c’est un avertissement pour coaching qui avait mis le feu aux poudres. Cela s’était terminé par un jeu de pénalité et une fin de match rocambolesque qui avait vu Serena Williams traiter l’arbitre portugais de «menteur» et de «voleur», faire venir le juge-arbitre sur le court et fondre en larmes. A Melbourne, ce sont deux avertissements infligés coup sur coup au Serbe pour dépassement de temps au service qui ont mis de l’huile sur le feu.

Pourtant, l’arbitre français Damien Dumusois n’a fait qu’appliquer le règlement à la lettre. Mais se sentant offensé, Novak Djokovic a perdu le fil du match et s’est livré à un numéro d’intimidation aussi ridicule qu’inacceptable. En regagnant sa chaise après ce jeu sous haute tension, le Serbe a provoqué l’arbitre en se permettant de toucher ses chaussures. Or un joueur n’a pas le droit de toucher un arbitre. Une fois sur sa chaise, le «Djoker» n’a pas décoléré, lançant à l’arbitre : «Bon travail mec, tu veux faire de toi quelqu’un de célèbre !»

6 JEUX CONSÉCUTIFS ENCAISSÉS, UN TEMPS MORT MÉDICAL… ET ÇA REPART

Impassible, l’arbitre n’a pas renchéri, mais il aurait très bien pu infliger un nouvel avertissement… et je vous laisse imaginer comment cela aurait pu finir. «A mon avis, il aurait pu réagir un peu mieux, vu le contexte. C’était un jeu très important. Oui, j’ai touché sa chaussure. Mais ce n’est pas complètement interdit, c’était une tape sympathique (sourire). Je le remercie de ne pas m’avoir donné un autre avertissement pour ça, c’est tout ce que je peux dire», a déclaré l’octuple vainqueur à Melbourne après sa victoire. Damien Dumusois appréciera…

Toujours est-il que les joueurs ne sont pas au-dessus des règles, et donc des arbitres. Roger Federer a d’ailleurs pu le vérifier lors de sa rencontre contre Tennys Sandgren, en se voyant infliger un avertissement et une amende pour quelques gros mots lâchés sur le court. De son côté, Rafael Nadal avait fait savoir à l’arbitre française Aurélie Tourte qu’elle «n’aimait pas le bon tennis» après avoir reçu un avertissement pour avoir dépassé le temps imparti pour servir après un long rallye. Novak Djokovic devait certainement penser la même chose ce matin.

En perdition après cet incident, le Serbe a connu un spectaculaire trou d’air, durant lequel il a encaissé six jeux consécutifs. Le temps pour Dominic Thiem de revenir à une manche partout et de prendre les commandes du troisième set. Mené deux manches à une, le Serbe a pris un temps mort médical. Après la rencontre, il a assuré souffrir de déshydratation. Après avoir ingurgité «une boisson antioxydante» et s’être remis les idées à l’endroit, tout en cassant la donne dynamique de l’Autrichien, Novak Djokovic s’est montré à nouveau plus calme et solide à l’échange. Comme un symbole, après avoir sauvé une balle de break au début du quatrième set, c’est la bande du filet qui est venue à son secours pour le sortir d’un mauvais pas. Le «Djoker» ne relâchera plus jamais son étreinte.

DOMINIC THIEM SUR LA BONNE VOIE

Lâché par sa seconde balle et son revers long de ligne, Dominic Thiem ne parviendra pas à inverser la tendance. Après avoir concédé la quatrième manche, il n’a pu que constater les dégâts dans le cinquième set. Il faut dire que celui qui pointera au quatrième rang mondial demain matin ne s’est pas ménagé pour s’offrir une troisième finale de Grand Chelem, la première ailleurs que sur la terre battue de Roland-Garros. L’Autrichien sortait en effet de deux grosses batailles contre Rafael Nadal et Alexander Zverev. Mais qu’importe, ce sera pour une prochaine fois.

Après sa défaite, il s’est montré aussi lucide que fataliste. «C’était sans doute plus facile pour d’autres de gagner des Grands Chelems à d’autres époques. C’est une situation unique je pense dans l’histoire du sport d’avoir les trois plus grands champions réunis sur une seule période. Pour nous, ça rend les choses très, très difficiles. Il faut en battre au moins deux des trois pour décrocher un titre. Pour l’instant, nous n’y arrivons pas», a-t-il ainsi déclaré. Difficile de le contredire. Seul Stan Wawrinka a réussi cet exploit. Deux fois.

Malgré un nouvel échec dans un Majeur, Dominic Thiem ne doit pas tout jeter pour autant. Il a énormément progressé l’an passé. Au départ considéré à juste titre comme un «terrien», l’Autrichien a fait évoluer son jeu pour devenir un excellent joueur sur dur. En 2019, son titre à Indian Wells, ainsi que ses victoires contre Roger Federer et Novak Djokovic au Masters, dont il a été le finaliste malheureux, ont mis en lumière ses progrès. Sa collaboration avec Nicolas Massu depuis un an lui fait un bien fou et ça se voit.

Dominic Thiem est sur le bon chemin, il a juste le malheur de tomber sur des monstres sacrés du tennis masculin – Rafael Nadal à Roland-Garros et Novak Djokovic à Melbourne – à chaque fois qu’il tente de gravir la dernière marche en Grand Chelem. Mais il progresse dans ce domaine là-aussi. Après avoir été battu en trois sets par Rafael Nadal lors de sa première tentative Porte d’Auteuil en 2018, il a remporté un set en 2019 contre le même adversaire, toujours sur le Chatrier, et il n’en a manqué qu’un seul ce matin. La prochaine fois sera peut-être la bonne ? Il tentera sa chance dès le printemps à Roland-Garros.

ENTRE DJOKOVIC ET LE PUBLIC C’EST : «JE T’AIME, MOI NON PLUS»

En attendant, à défaut d’être mythique comme l’ont pu être les deux dernières finales de Grand Chelem – Federer-Djokovic à Wimbledon et Nadal-Medvedev à l’US Open – cette nouvelle finale en cinq sets, la troisième consécutive (une première dans l’ère Open), permet à Novak Djokovic de faire un pas de plus dans l’histoire. Et tant pis si le public ne le soutient pas… Il est habitué. A chaque fois qu’il joue Roger Federer par exemple, le soutien du public pour le Suisse frôle l’hystérie. Et parfois cela se transforme même en haine à l’égard du Serbe, comme lors de la finale de l’US Open 2015 où le public new-yorkais était complètement déchaîné. Au fil du temps, il a cependant appris à se nourrir de cette adversité pour se motiver. Et cela ne lui a pas trop mal réussi…

Dans les faits, Novak Djokovic n’accepte pas qu’il ne soit pas aussi aimé et adulé que Roger Federer et Rafael Nadal. Cela peut se comprendre quand on voit le palmarès du Serbe, l’un des plus beaux de l’histoire du tennis. Mais ce n’est pas en intimidant l’arbitre ou en défiant le public, comme il a pu le faire encore aujourd’hui après la balle de match, que cela changera. Surtout, il faut qu’il arrête cette quête, cette obsession, de vouloir à tout prix se faire aimer des gens. Reprendre la célébration de Kuerten pour fêter sa victoire à Roland-Garros, envoyer des cœurs au public après chaque victoire… Stop. Cela ne le rendra pas plus authentique. Au contraire.

Alors Novak, sois toi-même, c’est tout.

Il suffit de voir ce qu’il s’est passé à New York l’an passé pour Daniil Medvedev. Le Russe s’était mis à dos, et pas qu’un peu, le public new-yorkais, notamment avec un show d’anthologie après sa victoire contre Feliciano López. Finalement, après une magnifique finale contre Rafael Nadal et un discours plein d’humour, il avait reçu une belle ovation. Comme quoi, il suffit juste d’être sincère, de laisser parler son cœur. C’est tout ce que le public attend. Et c’est ce que Novak Djokovic a fini par faire ce matin en rendant hommage à son ami Kobe Bryant, qui l’avait aidé quand il était au fond du trou il y a deux ans, après sa victoire. Ému, le public l’a ovationné.

De la haine à l’amour, il n’y a parfois qu’un tout petit pas.