A Melbourne, Naomi Osaka a démontré qu’elle avait la carrure d’une patronne à seulement 23 ans. La Japonaise aime les grands rendez-vous et ne se rate que très rarement. Contre Jennifer Brady, elle a poursuivi son sans-faute dans les finales de Grand Chelem. Quatre finales disputées, quatre finales gagnées. Ça vous donne une idée du pedigree d’une championne. Plus impressionnant encore, quand la Nippone atteint les quarts de finale dans un Majeur, elle va au bout. De quoi imaginer une armoire à trophées sacrément garnie dans les prochaines années alors que la Japonaise est en train de trouver une certaine constance au sommet du tennis féminin. Une Nippone taille patronne est née. Son premier titre du Grand Chelem paraît déjà loin, et pourtant c’était hier…
Il y a deux ans et demi, Naomi Osaka explosait aux yeux du monde entier en allant décrocher son premier titre du Grand Chelem à seulement 20 ans. Un accomplissement déjà remarquable aussi tôt dans une carrière, mais encore plus au regard des conditions dans lesquelles cela s’est fait. Car non seulement la Japonaise s’était imposée en finale de l’US Open 2018 contre Serena Williams, dans un stade (qui plus est le plus grand du monde) complètement acquis à la cause de l’Américaine, mais en plus elle s’était montrée imperméable au scénario chaotique de ce match marqué par la furie de son adversaire.
Serena Williams s’était en effet emportée dans des proportions délirantes contre l’arbitre, et il fallait donc avoir le cœur et les nerfs sacrément bien accrochés pour ne pas sombrer. Mais sans sourciller, Osaka avait fait le boulot pour signer son entrée dans la cour des grands. Un baptême du feu éprouvant mais passé avec succès, qui plantait les prémices d’un avenir radieux. Car derrière sa timidité apparente, se cachait un tempérament de feu qui s’exprime pleinement depuis quelques mois.
Pourtant, la Nippone n’avait pas mis longtemps à confirmer les espoirs placés en elle. Après son sacre à Flushing Meadows, elle était en effet allée s’imposer une première fois à Melbourne en janvier 2019. Deux titres du Grand Chelem en poche à seulement 21 ans, la Japonaise semblait alors partie pour devenir une machine raflant tout sur son passage. Mais qui dit de plus en plus de succès, dit aussi de plus en plus de pression… Et celle-ci a commencé à très lourdement pesé sur les épaules de la Japonaise à l’approche de Roland-Garros, où Osaka se savait forcément attendue. Et pour cause, elle était sur le trône du tennis féminin depuis son titre à l’Open d’Australie et pouvait décrocher à Paris un troisième titre du Grand Chelem consécutif. Forcément, ça attire grandement l’attention…
À ROLAND-GARROS EN 2019, «PERDRE ÉTAIT LA MEILLEURE CHOSE QUI POUVAIT M’ARRIVER»
D’emblée, on a compris que ce Roland-Garros 2019 allait ressembler à un chemin de croix pour la Nippone. Car dès son premier match sur la terre battue parisienne, elle a encaissé une bulle face à la modeste Anna Karolina Schmiedlova. Si Osaka s’en était finalement tirée pour entamer victorieusement sa campagne Porte d’Auteuil (0-6, 7-6, 6-1), cette anomalie n’annonçait rien de bon. D’autant plus qu’elle avait fondu en larmes sur le court quand elle s’était retrouvée au bord du précipice avant de se reprendre.
C’est donc sans surprise que la Japonaise a pris la porte dès le troisième tour contre la Tchèque Katerina Siniakova (6-4, 6-2) après avoir été très fortement bousculée au deuxième tour par Victoria Azarenka. Une élimination synonyme de soulagement pour la nouvelle star du circuit. «J’ai l’impression d’avoir une sorte de poids sur moi. Je sais que c’est parce que tout ce qui m’arrive est très nouveau. Je ne traverse pas ma période la plus heureuse», avait d’ailleurs indiqué Osaka après ce revers à Paris. Et de reprendre : «Vous savez, c’est bizarre, mais je pense que perdre était la meilleure chose qui pouvait m’arriver. Je pensais trop à cette histoire de Grand Chelem. Je dois juste retourner m’entraîner et me mettre à nouveau en position de gagner. Mais pour l’instant, je m’en vais, je rentre à la maison et, désolée les gars, mais vous n’allez pas me manquer.»
Après avoir tutoyé les étoiles, voilà le nouveau diamant brut du tennis féminin confronté à une crise de confiance, si ce n’est une véritable crise existentielle. Mais comment lui en vouloir après avoir été emportée par tout le torrent médiatique accompagnant ses exploits ? Une fois la gloire atteinte, il faut la digérer et l’assumer. Et cela, c’est tout un processus qui peut prendre du temps. Dans le cas d’Osaka, pas besoin de s’inquiéter. Si juste après Roland-Garros, elle a pris la porte dès son entrée en lice à Wimbledon, puis vécu une tournée américaine décevante, la Japonaise s’est remise dans le droit chemin en fin d’année avec deux titres consécutifs, à Tokyo puis à Pékin. Le processus de décompression approchait de son terme. Il y a eu encore quelques relents début 2020 avec une défaite au troisième tour de l’Open d’Australie, puis le Covid-19 s’est invité pour mettre à l’arrêt le circuit.
UNE CHAMPIONNE… ET UNE ACTIVISTE DEPUIS LA TOURNÉE AMÉRICAINE
Là où de nombreuses joueuses, comme Alizé Cornet, sont ressorties complètement effondrées mentalement de cette période angoissante, Naomi Osaka, elle, s’est reconstruit en quelques mois un mental en béton armé. Et cela s’est tout de suite vu à son retour sur les courts. C’est simple, depuis que le circuit WTA s’est remis en marche, elle n’a toujours pas quitté une seule fois le court dans la peau de la perdante. Au Masters de Cincinnati, la Japonaise a posé les bases de sa campagne victorieuse à l’US Open, les deux tournois étant en plus joués au même endroit (Flushing Meadows) à cause de la pandémie de Covid-19, mais aussi de son engagement contre le racisme.
En refusant de jouer sa demi-finale contre Elise Mertens au Masters de Cincinnati pour protester contre les violences policières aux États-Unis, elle a en effet déclenché une onde de choc sans précédent dans le sport mondial. Dans la foulée de ce geste très fort, le tournoi de Cincinnati a été suspendu pendant une journée, tandis que dans le même temps des matches de NBA ont été reportés après le boycott des Bucks de Milwaukee. Naomi Osaka s’est ainsi retrouvée sous les projecteurs, et bien au-delà de la sphère tennistique. Mais au lieu de se limiter à ce fait d’armes déjà retentissant, la Nippone a prolongé son engagement contre le racisme tout au long de l’US Open, avec une approche habile et efficace.
Ainsi, lors de chacun de ses matches dans le Grand Chelem new-yorkais, elle a fait son arrivée sur le court avec un masque où figurait à chaque fois un nom différent d’une victime afro-américaine des violences policières (Breonna Taylor, George Floyd, Tayvon Martin…). Naomi Osaka avait préparé sept masques, et il fallait donc qu’elle aille jusqu’en finale pour tous les montrer. Et c’est ce qu’elle a fait… Chapeau. Avec une attitude aussi engagée, on aurait pu craindre que la Japonaise ne perde trop d’énergie en s’aventurant sur un terrain qui dépasse largement le cadre du tennis. Mais il n’en fut rien. Ce fut même l’exact opposé. En devenant porte-parole de son sport sur un sujet aussi délicat, Osaka s’est sentie habitée d’une mission qui la dépasse. Et cet engagement a transcendé celle qui est née d’une mère japonaise et d’un père d’origine haïtienne.
Avec la meilleure volonté du monde, il n’est cependant pas simple d’assumer un tel rôle d’activiste dans un monde aussi policé que celui du tennis. Mais alors où est-elle aller puiser toute cette énergie ? «Après ma première victoire à l’US Open, je n’ai jamais eu le temps de prendre du recul. Le confinement m’a donné l’opportunité de penser à beaucoup de choses, à ce que je voulais accomplir, à la manière dont je voulais que les gens se souviennent de moi. Je me suis présentée sur ce tournoi avec cet état d’esprit», a expliqué la Japonaise après son deuxième titre à l’US Open. Car oui, elle est parvenue à concilier son nouveau statut d’athlète engagée avec ses objectifs sportifs.
DE LA REINE SERENA… À LA REINE OSAKA
Après cet US Open riche en émotions, Naomi Osaka a fait l’impasse sur Roland-Garros en raison d’une cuisse gauche douloureuse, avant de tirer un trait sur la fin de saison pour recharger les batteries en vue de la saison 2021. La Japonaise a beau être jeune, elle sait déjà faire des choix forts pour gérer sa carrière. Ce n’est pas Roger Federer, réputé pour la gestion méticuleuse de sa carrière, qui lui dira de procéder différemment. Bien dans son corps et bien dans sa tête, la Nippone a donc débarqué en Australie en janvier avec l’ambition d’aller chercher un nouveau titre du Grand Chelem. D’abord basée à Adélaïde, avec les meilleurs joueurs dans une bulle «VIP», Osaka a connu une défaite toute relative contre Serena Williams lors d’une exhibition. Mais les choses ne se passeront pas de la même manière entre la Japonaise et l’Américaine à Melbourne pour la vraie compétition…
Après avoir déclaré forfait à cause d’une alerte à l’épaule avant sa demi-finale contre Elise Mertens lors du Gippsland Trophy, tournoi préparatoire à l’Open d’Australie, Naomi Osaka a parfaitement débuté son parcours dans le premier Grand Chelem de la saison. Pourtant, ses trois premiers matches avaient tout du piège parfait (Pavlyuchenkova, Garcua et Jabeur), mais ce fut une démonstration à chaque fois (13 jeux lâchés en 3 matches). En revanche, ce fut une histoire bien différente lors de son huitième de finale contre Garbiñe Muguruza, une sacrée cliente en Grand Chelem. L’Espagnole a d’ailleurs bien failli éliminer la Japonaise, avec deux balles de match dans sa raquette…
Mais Osaka s’est finalement sortie de ce pétrin, et ce match lui a permis de se libérer totalement pour la fin du tournoi. «Dans ce tournoi, je n’ai pas senti de panique, jusqu’à ce que je joue Muguruza. Et je pense que ce match m’a vraiment aidée», a d’ailleurs confirmé la Japonaise. Et en effet, ce match où elle s’est montrée à la hauteur dans le money-time a constitué la meilleure préparation possible pour sa demi-finale contre Serena Williams, qu’elle continue d’admirer. «C’est toujours surréaliste de la voir en vrai. Je veux qu’elle joue pour toujours. C’est la voix de la petite fille en moi qui parle», disait ainsi Osaka après son match contre la légende américaine.
Pour autant, l’admiration a rapidement laissé place à la détermination dans sa demi-finale. Et après une entame ratée, car elle craignait de se faire agresser sur sa mise en jeu (ce qui n’a pas manqué), la Japonaise est tranquillement montée en puissance pour écœurer Serena Williams. Cette dernière a même terminé sa conférence de presse en larmes. De là à dire qu’on a assisté à la passation de pouvoir entre la star absolue du tennis féminin de ces vingt dernières années et la nouvelle taulière du circuit, il n’y a qu’un pas qu’on a très fortement envie de franchir…
«J’AVAIS L’IMPRESSION DE JOUER MON EXISTENCE ENTIÈRE SUR UNE VICTOIRE »
Car au-delà d’être de plus en plus forte sur le plan tennistique, Naomi Osaka semble désormais indéboulonnable au niveau mental. «Ce dont je suis le plus fière, c’est d’être devenue si forte mentalement. Avant, j’avais vraiment des hauts et des bas et je doutais beaucoup de moi. La quarantaine et le fait de voir tout ce qui se passe actuellement dans le monde, ça m’a permis prendre beaucoup de recul. Avant, j’avais l’impression de jouer mon existence entière sur une victoire dans un match de tennis. Ce n’est plus le cas maintenant», a expliqué la Japonaise.
Cette maturité et cette sérénité, ce sont deux ingrédients que l’on a pu retrouver ce samedi dans sa finale contre Jennifer Brady. Pour sa première finale de Grand Chelem, l’Américaine n’est pas passée à côté, mais la Japonaise a été impériale dans les moments clés, comme sur cette balle de break sauvée à 4-4 dans le premier set. Si Brady avait converti cette opportunité, elle aurait servi pour le set, et cela aurait été certainement une histoire bien différente… Mais Osaka s’est arrachée pour tourner la situation à son avantage et prendre les commandes du match. Une force de caractère qui appartient aux champions dans les grands rendez-vous.
Ce fut le tournant de cette finale. Entre la fin du premier set et le début de la deuxième manche, la Nippone a inscrit six jeux consécutifs. La messe était presque dite. Brady a bien tenté un baroud d’honneur, mais pas de quoi ébranler une Osaka sûre de sa force. A l’arrivée, cela donne une victoire en deux sets (6-4, 6-3) en 1h17 et un deuxième doublé US Open-Open d’Australie. Au passage, la Japonaise a signé sa 21ème victoire consécutive sur le circuit. Et si lundi, elle ne sera «que» n°2 mondiale, il ne faut pas s’y tromper. La reine du tennis féminin, c’est bel et bien Naomi Osaka. Et désormais, elle semble prête pour assumer un tel statut.
ROLAND-GARROS, PROCHAIN DÉFI D’OSAKA
Toutefois, il reste encore du chemin à parcourir pour devenir une reine incontestée. Car ce qui frappe quand on jette un œil au palmarès de la Japonaise, c’est qu’elle a remporté sept titres au total dans sa carrière, dont quatre en Grand Chelem ! Cela signifie qu’elle a plus de succès dans les tournois prestigieux, les plus relevés, que dans les autres. Ce qui intéresse Osaka, ce sont les grands rendez-vous. Elle l’a démontré une fois de plus à Melbourne. Et en 2021, elle aura l’occasion de le prouver davantage puisqu’il y aura les Jeux Olympiques au cœur de l’été. Cerise sur la gâteau, ce sera à Tokyo devant son public. On imagine que la Japonaise a déjà coché depuis très longtemps cette échéance dans son calendrier. Cependant, il faudra peut-être ratisser plus large pour accroître sa domination sur le circuit féminin…
Prochain défi pour Osaka, transposer sa domination sur dur à la terre battue et au gazon. Cela tombe bien, les deux prochains tournois du Grand Chelem sont Roland-Garros et Wimbledon. Deux tournois dans lesquels la Nippone n’a jamais dépassé le troisième tour. Ce n’est pas forcément une mince affaire de briller sur terre battue et sur gazon, mais qu’on se le dise, il n’y a aucun obstacle insurmontable pour qu’elle n’y parvienne pas, tant sa marge de progression semble importante. Et Osaka en est parfaitement consciente après son nouveau titre à Melbourne : «Sur quelle autre surface je peux espérer gagner en Grand Chelem ? Avec de la chance sur terre battue, parce que c’est le prochain ! Je n’ai pas joué du tout sur gazon dans ma jeunesse car je n’étais pas en juniors. Je pense honnêtement que j’aurais plus de chances de réussir sur terre battue.»
La concurrence est donc prévenue pour Roland-Garros, d’autant plus que la championne nippone voit déjà plus loin : «La plus grande chose que je veux réussir, et ça peut peut-être sembler bizarre, c’est de jouer assez longtemps pour affronter une jeune qui me dise que je suis sa joueuse préférée. Ce serait vraiment la chose la plus cool qui pourrait m’arriver.» Devenir l’idole d’une génération, voilà un objectif ambitieux mais largement à sa portée.
Longue vie à la reine Osaka !