Mercredi 31 mars au soir, Emmanuel Macron annonçait un troisième confinement de quatre semaines pour l’ensemble de la France, de manière à freiner la propagation du Covid-19 et donc à réduire le nombre de cas et de patients à l’hôpital. De quoi envisager un mois de mai plus serein et moins anxiogène… ainsi qu’un tournoi de Roland-Garros avec du public dans de meilleures conditions que lors de l’édition automnale d’il y a quelques mois.

Le jour de l’allocution du président de la République, Gilles Moretton, le nouveau président de la FFT, se montrait d’ailleurs relativement confiant sur la tenue de Roland-Garros aux dates prévues (23 mai-6 juin). «On étudie plein d’options pour Roland-Garros 2021. Il y a la palette totale… ou presque totale car je n’ose pas imaginer une jauge à 100%. Mais la jauge peut partir du huis-clos à une jauge qui ne sera pas 100%. Toutes les options chez nous sont prêtes. On rencontre tous les acteurs régulièrement et on attend de voir comment les choses vont se passer. (…) Restons prudents et attendons. Je vais essayer d’être optimiste en disant que la vaccination avance et qu’on voit le bout du tunnel», avait-il alors déclaré.

Oui mais voilà, la ministre déléguée aux Sports, Roxana Maracineanu, a voulu mettre son grain de sel le week-end dernier. Sur l’antenne de Franceinfo, la représentante du gouvernement a ainsi émis l’idée d’un report du Grand Chelem parisien. Alors, pas question de refaire le coup d’il y a un an quand la FFT avait pris tout le monde de vitesse pour sauver son bijou, peu importe l’avis des autres instances de gouvernance du tennis mondial et des joueurs. L’année 2020 était exceptionnelle à tous les niveaux, et avec un peu de recul, la FFT a bien fait de vouloir sauver Roland-Garros à tout prix. Mais 2021 n’est pas 2020… Car cette année, le circuit retrouve progressivement son rythme de croisière et le calendrier est donc très chargé, plus encore dans une année olympique.

La petite bombe a donc fini par être larguée mercredi soir, avant d’être confirmée jeudi matin par la FFT : Roland-Garros est repoussé d’une semaine pour «maximiser les chances que le tournoi puisse se jouer devant le plus grand nombre possible de spectateurs». Alors si la Fédération a été cette fois-ci bien inspirée de travailler en étroite collaboration avec ses trois autres homologues gérant Wimbledon, l’US Open et l’Open d’Australie, qui ont d’ailleurs publiquement soutenu la décision de la FFT, on peut tout de même s’interroger sur l’utilité d’accorder sept de jours de plus au tournoi pour se préparer en pleine pandémie. Car à moins d’un miracle divin, le Covid-19 ne va pas prendre des vacances entre le 30 mai et le 13 juin, nouvelles dates de Roland-Garros.

LE COVID-19 NE VA PAS DISPARAÎTRE EN UNE SEMAINE

Évidemment, plus il y a de public dans les tribunes, mieux c’est. Personne ne dira le contraire. On a été assez traumatisé par un US Open dans une ambiance de cathédrale, comme de nombreux tournois du circuit, à l’image du Masters de Londres. Donc l’ambiance mortelle digne d’un film catastrophe comme sait si bien le faire Hollywood, on s’en passera volontiers. Mais surtout, Roland-Garros c’est du business. Plus les tribunes sont remplies, plus les revenus augmentent. Et cet argent permet de faire vivre le tennis français. En 2019, le tournoi avait généré un chiffre d’affaires de 260 millions d’euros. Une somme conséquente puisqu’elle constituait l’écrasante majorité des 325 millions d’euros de budget total annuel pour la FFT. Roland-Garros annulé et ce sont les ligues régionales et donc les clubs qui se retrouvent presque sur la paille. Et cerise sur le gâteau, le coût total des travaux de rénovation du stade Roland-Garros s’élève à 380 millions d’euros. Dans ce contexte, la Fédération fait tout ce qui est en son pouvoir pour défendre Roland-Garros.

Fort heureusement, l’édition 2020 a donc eu lieu, mais avec une jauge très réduite de 1 000 spectateurs par jour dans l’enceinte de la Porte d’Auteuil. Par conséquent, la FFT a vu le chiffre d’affaires du tournoi s’effondrer de 130 millions d’euros l’an passé, soit une perte spectaculaire de 50% à cause notamment du manque à gagner sur les recettes de billetterie. Le coup a été rude pour la Fédération et les clubs, mais organiser Roland-Garros contre vents et marées a permis au bateau de rester à flot. Et même si le tournoi 2020 peut être considéré comme une réussite en pleine pandémie, la FFT ne veut plus d’un Central qui sonne creux alors que celui-ci a été refait de fond en comble et dispose désormais d’un toit, permettant l’organisation de très lucratives night-sessions qui seront diffusées par Amazon. Sans le dire, l’objectif de la FFT est donc d’avoir une jauge sur le site de la Porte d’Auteuil d’au moins 50% de sa capacité maximale, si ce n’est un peu plus.

Dans cet objectif, quand on lit que la FFT considère que «chaque semaine peut s’avérer précieuse», on peut comprendre. Mais une semaine gagnée, c’est au mieux une tendance qui se dessine dans l’épidémie. En une semaine, est-ce que le Covid-19 va disparaître ? Est-ce que 80% des Français vont être vaccinés ? Est-ce que les hôpitaux vont se vider en un clin d’œil ? A ces trois questions, la réponse est la même : non. La situation ne sera pas très différente entre le 23 mai, date initiale du début de Roland-Garros, et le 30 mai, nouvelle date du coup d’envoi du Grand Chelem parisien. Et penser qu’avec un délai supplémentaire d’une petite semaine, la jauge de spectateurs pourrait sensiblement être revue à la hausse pour augmenter les revenus de billetterie, c’est une hérésie. A moins que le Covid ne se mette à jouer au tennis…

LA SAISON SUR GAZON, PRINCIPALE VICTIME COLLATÉRALE 

En revanche, reporter Roland-Garros d’une semaine, cela a des conséquences concrètes sur la saison sur gazon. Car dans la foulée de l’annonce des nouvelles dates du Grand Chelem sur ocre, Wimbledon a indiqué que les dates de l’édition 2021 resteraient inchangées (28 juin-11 juillet). Le tournoi anglais a déjà été annulé l’an passé, il ne faut pas abuser. Surtout que ça vaccine à tour de bras outre-Manche… Et de toute façon, Wimbledon n’avait quasiment aucune autre fenêtre de tir pour être décalé, alors que le tournoi olympique de Tokyo (24-30 juillet) débute moins de deux semaines après la finale disputée au All England Club de Londres. Par conséquent, ceux qui vont payer les pots cassés du report de Roland-Garros, ce sont les tournois sur herbe organisés lors de la deuxième semaine du Grand Chelem parisien.

Au lieu de donner le coup d’envoi de la (très) courte saison sur gazon (5 semaines à la base, Wimbledon compris), qui a été totalement annulée l’an passé, des tournois comme ‘s-Hertogenbosch et Stuttgart se retrouvent ainsi menacés. Mais ils pourraient très bien avoir lieu en même temps que Roland-Garros et ce serait de bonne guerre. Premier concerné par cette situation, le directeur du tournoi de Stuttgart, Edwin Weindorfer, ne compte pas baisser les bras : «Il se peut que Federer et Murray trouvent que la période entre Roland‐Garros et Wimbledon soit trop courte par exemple ou encore qu’ils soient éliminés du tournoi dès la première semaine.» Et en effet, le Suisse et le Britannique ont fait de Wimbledon leur priorité. Guy Forget, le directeur de Roland-Garros, risque ainsi d’avoir quelques sueurs froides dans les prochaines semaines…

En conclusion, ce report d’une semaine de Roland-Garros ne sert strictement à rien, sauf peut-être à faire couler plusieurs tournois sur gazon, qui n’ont déjà pas pu se jouer l’an passé. Mais qu’importe, c’est peut-être ça aussi l’exception française.