Habituellement, l’arrivée du mois de janvier, et donc de l’Open d’Australie, suscite l’excitation et la joie dans l’esprit des joueurs et des passionnés de tennis. Mais ces dernières semaines, en particulier les tous derniers jours, l’excitation et la joie de revoir les acteurs du tennis mondial ont laissé place à la tristesse, devant les ravages immenses causés par les feux de forêt en Australie, et surtout la colère et l’incompréhension face aux décisions lunaires de Tennis Australia, l’entité qui organise l’Open d’Australie, et de son directeur Craig Tiley. Rassurez-vous, nous allons quand même parler de tennis durant les deux prochaines semaines à Melbourne, mais la tension sera aussi élevée sur les courts qu’en dehors.

Vous n’avez pas pu passer à côté, l’Australie est touchée depuis plusieurs mois maintenant par des incendies qui réduisent en cendres des milliers d’hectares de forêts. Aggravés par un été austral particulièrement brûlant, ces incendies ont enveloppé la plupart des grandes villes du pays d’un épais nuage de fumée très nocif pour la santé, notamment à Canberra et Sydney… mais aussi à Melbourne en début de semaine. Ainsi, mardi, jour du coup d’envoi des qualifications de l’Open d’Australie, il était recommandé aux habitants de Melbourne de rester chez eux et de ne pas sortir leurs animaux. Et devinez quoi ? La consigne ne s’est pas appliquée aux joueurs de tennis, qui n’ont eu d’autre choix que de disputer des rencontres dans un air très pollué pour tenter d’atteindre le tableau principal. Une vraie vie de chien…

DES QUALIFICATIONS DANS UN CADRE APOCALYPTIQUE

Ils auraient pu refuser d’aller sur le court, me direz-vous ? Oui mais voilà, quand on ne s’appelle pas Roger Federer, Rafael Nadal, Novak Djokovic ou même Benoît Paire, non seulement on est beaucoup moins entendu, mais en plus on a besoin d’argent pour s’offrir les moyens de disputer une saison entière. Une défaite au premier tour des qualifications à Melbourne rapporte cette année près de 12 000 euros. Et pour ceux qui prendront la porte dès le premier tour du tableau principal, ils repartiront avec une enveloppe d’environ 56 000 euros. Une somme assez conséquente pour pouvoir voyager quelques mois, payer un entraîneur et un préparateur physique, et s’offrir le droit d’y croire. Dans ces conditions, difficile de refuser d’aller sur le court malgré des conditions dantesques qui ont donné lieu à des scènes épouvantables.

Ce qui devait arriver arriva, un calvaire, à commencer par celui de la Slovène Dalila Jakupovic, contrainte d’abandonner au premier tour des qualifications, la joueuse étant prise de violentes quintes de toux, et pas loin de s’évanouir. S’effondrer, c’est justement ce qui est arrivé à un malheureux ramasseur de balles, tandis que l’Australien Bernard Tomic a reçu un traitement médical et de la ventoline en raison de difficultés respiratoires. Mais circulez, il n’y a rien à voir, d’après Craig Tiley, qui assure prendre toutes les précautions nécessaires pour protéger les joueurs… Mais visiblement, les enjeux financiers autour de l’Open d’Australie ont pris le dessus, comme trop souvent ces dernières années dans le sport…

Souvenez-vous des Mondiaux d’athlétisme de Doha l’an passé qui ressemblaient davantage à une mauvaise blague qu’à une véritable fête sportive comme l’ont été les Mondiaux de Londres deux ans plus tôt. Et mauvaise nouvelle, les malaises, qu’ils soient subis par les sportifs ou par vous devant votre télévision, vont se multiplier au cours des prochaines années, et même d’ici quelques mois avec les Jeux Olympiques de Tokyo. Les étés dans la capitale japonaise sont un véritable enfer pour quiconque veut se livrer à une performance sportive de haut niveau. Ce ne sera guère mieux en 2022 avec la Coupe du monde de football, malgré des stades climatisés – bonjour le réchauffement climatique – et probablement désertés… Mais qu’importe, l’argent coulera à flots, c’est bien là l’essentiel, non ? Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, paraît-il… Mais à ce rythme-là, il y aura un mort. Et ce jour-là, il sera trop tard. Mais finalement à Melbourne, c’est peut-être Gilles Simon qui résume le mieux le sentiment général actuellement :

Face au calvaire vécu par plusieurs joueurs cette semaine à Melbourne, une pluie de critiques s’est abattue sur les organisateurs… et sur les stars du circuit, à commencer par Roger Federer et Rafael Nadal. Les deux légendes se sont notamment retrouvées dans le viseur du Canadien Brayden Schnur, 103ème mondial : «La contestation doit venir d’en haut. Roger (Federer) et Rafa (Nadal) sont un petit peu égoïstes, ils ne pensent qu’à eux et à leur carrière. Parce qu’ils sont proches de la fin, ils pensent à leur trace dans l’histoire de ce sport, mais pas au sport lui-même et à ce qui est bon pour lui. Ils doivent monter au créneau.»

Dans la foulée, Brayden Schnur a certainement reçu un coup de fil des deux stars du circuit, puisqu’il a fait son mea culpa, mais qu’importe, la bombe était lâchée. Déjà pris à partie par Greta Thunberg pour son engagement auprès du Crédit Suisse, sponsor de l’homme aux vingt titres du Grand Chelem critiqué pour ses investissements dans les énergies fossiles, Roger Federer a finalement réagi à la polémique générale : «Je ne pense pas que je puisse faire plus que ce que j’ai fait.» Le Suisse fait ainsi écho à ses visites dans le bureau de l’organisation pour faire part de sa préoccupation concernant la fumée toxique qui avait envahi Melbourne Park, mais aussi à un don commun avec Rafael Nadal de 250 000 dollars australiens, soit près de 155 000 euros, aux associations qui luttent contre les incendies, et à une participation à une exhibition – avec Serena Williams, Caroline Wozniacki, Naomi Osaka, Nick Kyrgios, Novak Djokovic, Stefanos Tsitsipas ou encore Dominic Thiem – ayant permis de récolter un peu moins de cinq millions de dollars australiens, soit près de trois millions d’euros. Bien mais insuffisant…

CRISE DE GOUVERNANCE AU SOMMET DU TENNIS MONDIAL

Après tout, ce manque de parole forte et engagée au sommet du circuit n’est ni plus ni moins que la quintessence des problèmes de gouvernance du tennis mondial. L’ATP et la WTA n’accordent plus leur violon avec l’ITF depuis longtemps, les tournois du Grand Chelem n’en font qu’à leur tête et les joueurs veulent un calendrier allégé tout en gagnant plus d’argent. Une triple problématique totalement insoluble qui n’a jamais été aussi visible qu’aujourd’hui. La meilleure illustration de ces maux est probablement ce qui s’est passé avec la Coupe Davis, joyau du tennis masculin mis à mort par les milliards de dollars mis sur la table par Gérard Piqué – qui a raté une occasion de plus de se concentrer sur son football – et son groupe Kosmos. Mais tel l’arroseur arrosé, la Coupe Davis risque bien de se faire supplanter par l’ATP Cup, dont la première édition, qui s’est tenue en Australie il y a une semaine, a connu un bien plus net succès que sa grande sœur en novembre dernier.

Dans ce contexte, Novak Djokovic et Rafael Nadal appellent à une fusion des deux compétitions dès 2022. Mais comme si cela ne suffisait pas, Roger Federer a ajouté son grain de sel en dégainant en 2017 la Laver Cup, sorte de «Ryder Cup» tennistique. Avec un format attrayant, garantissant du suspense jusqu’au dernier jour, l’événement s’est rapidement imposé dans l’agenda des meilleurs joueurs mondiaux, au point de figurer dans le calendrier officiel de l’ATP depuis l’an passé. Le bébé de Roger Federer va même finalement plus loin que sa promesse initiale puisqu’il se tiendra cette année à Boston, alors que cette exhi-compétition – qui a surtout des allures de tournoi de tennis entre potes avec un niveau très plaisant – ne devait pas se tenir lors des années olympiques. Mais c’est tout le problème du tennis mondial aujourd’hui, il est victime de ses stars. Dans ce cadre, la création du Masters «Next Gen» à Milan n’est que le reflet des craintes de l’ATP concernant l’après Big 3 – Federer, Nadal et Djokovic – qui va prendre sa retraite au cours de la décennie. Mais que tout le monde se rassure, la nouvelle garde du tennis mondial pointe (enfin) sérieusement le bout de son nez…

Malgré le contexte difficile qui entoure cet Open d’Australie 2020, on va tout de même souhaiter que tout se déroule dans les meilleures conditions. Au cas où, Craig Tiley, le patron du tournoi, a rappelé que trois courts sont dotés d’un toit rétractable et que huit courts intérieurs peuvent être exceptionnellement utilisés. Il faudrait peut-être rappeler à Monsieur Tiley ce qu’est un tournoi du Grand Chelem… (INDICE : les matches se disputent à l’extérieur.) Bref, espérons que le tennis reprenne ses droits dès la nuit prochaine ! Roger Federer, qui visera un septième titre à Melbourne, et Novak Djokovic, vainqueur de l’ATP Cup avec la Serbie – en s’offrant Rafael Nadal en finale au passage – en quête d’un huitième sacre en Australie, Stefanos Tsitsipas, demi-finaliste l’an passé, ou encore Naomi Osaka, tenante du titre, seront les premiers favoris à entrer en lice. Et dans le pire des cas, on peut toujours compter sur Benoît Paire, qui nous a régalé à Auckland ces derniers jours avec un combo spectateur insulté-raquette explosée-bière post-finale-McDo, ou sur Gaël Monfils, qui a réussi l’exploit de se blesser à la main droite en jouant aux jeux vidéo, pour nous faire sourire…