L’avantage avec Alexander Zverev, c’est que vous ne savez jamais ce qu’il va se passer avec lui. Et avant le coup d’envoi du Masters 1000 de Madrid, il aurait fallu être bien audacieux pour miser sur une victoire finale de l’Allemand. Et pourtant… Il a traversé le tournoi madrilène en vrai patron, s’offrant des succès de prestige contre Rafael Nadal, le meilleur joueur de l’histoire sur terre battue, et Dominic Thiem, l’outsider le plus sérieux sur ocre ces dernières années, avant de contenir la fougue de Matteo Berrettini en finale pour s’offrir son quatrième titre en Masters 1000.

C’était l’occasion pour le finaliste malheureux du dernier US Open de mettre fin à une disette de trois ans dans cette catégorie de tournois. Une disette toute relative cependant, puisque s’il ne parvenait plus à étoffer son palmarès en Masters 1000, malgré trois finales (Rome 2018, Shanghaï 2019 et Paris-Bercy 2020) entre ses deux titres à Madrid (2018 et 2020), le jeune «Sascha» a bien grandi entre-temps.

DANS LE TOP 10 NON-STOP DEPUIS L’ÉTÉ 2017

On aurait tendance à l’oublier, mais Alexander Zverev n’a que 24 ans. Alors certes, vous allez me dire que Roger Federer, Rafael Nadal et Novak Djokovic avaient déjà commencé à enquiller les titres du Grand Chelem à cet âge-là, mais ce sont trois extraterrestres. Car bien qu’il n’ait pas encore décroché la timbale dans un Majeur (satanée finale perdue à l’US Open l’an passé…), le natif d’Hambourg nous a habitué à faire de belles choses sur le court depuis plusieurs années.

Il a fait sa première apparition dans un tournoi du Grand Chelem à Wimbledon en 2015 alors qu’il n’avait que 18 ans. Moins de deux ans plus tard, en 2017 donc, il remportait ses deux premiers titres en Masters 1000, à Rome et à Montréal, en battant respectivement en finale Novak Djokovic et Roger Federer. A seulement 20 ans s’il vous plaît… Rien que ça ! C’est d’ailleurs en 2017 qu’il a fait son entrée dans le Top 10 mondial. Et depuis le 31 juillet de cette année où il s’est définitivement révélé à la face du monde, il ne l’a plus jamais quitté…

DES MATCHES PARFOIS ILLISIBLES

Alors qu’il s’apprête à fêter ses quatre ans de suite parmi les dix meilleurs joueurs mondiaux, on pourrait être tenté de dire qu’Alexander Zverev est un modèle de régularité au plus haut niveau. Oui, mais pas totalement… La faute à la trajectoire erratique de l’Allemand. Car avec lui, vous ne savez jamais à quoi vous attendre… Certes, il a le potentiel pour gagner quasiment n’importe quel tournoi dans lequel il s’aligne, mais Zverev est un paradoxe à lui tout seul. Il est capable du meilleur comme du pire. Un peu comme Gaël Monfils me direz-vous, mais l’Allemand est tout de même bien plus fiable que le Français sur la durée. Pour autant, Zverev est capable de disputer plusieurs matches dans un même match. Il peut ainsi parfaitement débuter une rencontre pour s’effondrer de manière spectaculaire par la suite, ou inversement. Avec l’Allemand, c’est comme jouer au loto. Vous ne savez jamais sur quoi vous allez tomber.

Son US Open 2020 en est la meilleure illustration. Et outre-Atlantique, Zverev ne nous a pas gratifié d’un match, de deux matches… mais de trois matches complètement lunaires ! Le premier, c’est son quart de finale contre Borna Coric. Complètement à côté de ses pompes en début de partie, proche d’être mené deux manches à rien, l’Allemand s’en est tiré en quatre sets, en arrachant les deux dernières manches au tie-break. Scénario encore plus renversant lors de son quart de finale face à Pablo Carreño Busta. Épouvantable dans les deux premiers sets, auréolés de 36 fautes directes, Zverev ressemblait davantage à un fantôme qu’à un candidat à un titre du Grand Chelem. Et pourtant… Bien aidé par un Espagnol de plus en plus crispé, il a enfin enclenché la marche avant pour glaner les trois manches suivantes et s’offrir une première finale de Grand Chelem à 23 ans.

A la la lumière de ces deux matches plus que laborieux, on aurait pu légitimement penser que le le jeune «Sascha» ne verrait pas le jour en finale face à un Dominic Thiem en mission dans cet US Open. Mais contre toute attente, c’est Zverev qui est parfaitement rentré dans son match. Complètement hermétique à la pression dans un premier temps, il s’est envolé pour mener deux manches à rien, avec même un break d’avance dans le troisième set. Le trophée commençait à lui faire de l’œil… Mais Thiem s’est réveillé et la pression s’est invitée sur les épaules de Zverev. Dans un scénario invraisemblable, où les deux joueurs semblaient de plus en plus paralysés à mesure que le dénouement de la finale approchait, c’est finalement l’Autrichien qui a eu le dernier mot au tie-break du cinquième set. Difficile de faire plus cruel pour Zverev qui ne cachait pas, quelque mois plus tard, ressasser encore cette finale malheureuse à New York…

UN PLAFOND DE VERRE BRISÉ EN GRAND CHELEM

A Flushing Meadows, le joueur originaire d’Hambourg a démontré qu’il pouvait se sortir de situations inextricables dans laquelle il s’était lui-même englué. Mais il a aussi pu constater qu’il lui restait des progrès à réaliser pour avoir cet instinct de tueur dans les plus grands rendez-vous. Un instinct entraperçu au Masters de Londres en 2018 lors duquel il avait maîtrisé de manière spectaculaire Roger Federer et Novak Djokovic en fin de tournoi pour aller chercher le plus grand titre de sa jeune carrière.

Et pourtant, malgré un tel accomplissement, encore plus impressionnant à l’ère du «Big 3», certains observateurs étaient prêts à l’enterrer à force d’être éliminé prématurément en Grand Chelem… Après avoir atteint difficilement les quarts de finale à Roland-Garros deux années de suite (2018 et 2019), sans être capable de rééditer pareille performance dans l’un des trois autres Majeurs, certains voyaient dans les quarts en Grand Chelem son plafond de verre. Et pendant que les mauvaises langues se déliaient, Zverev a travaillé en coulisses pour offrir la meilleure des réponses sur le terrain. Demi-finale à Melbourne début 2020 puis finale à l’US Open quelques mois plus tard, c’est ce qui s’appelle climatiser sa salle de détracteurs.

LA FIN DES MONTAGNES RUSSES EN 2021 ?

Cependant, Alexander fait encore du Zverev en 2021. Quart à l’Open d’Australie, défaite d’emblée à Rotterdam, titre à Acapulco, puis trois défaites prématurées à Miami, Monte-Carlo et Munich… et titre à Madrid. Avec l’Allemand, ce sont les montages russes… ou plutôt celles d’Hambourg. S’il a le jeu et le mental pour briller dans tous les tournois, il se montre encore trop irrégulier. Irrésistible hier, insupportable aujourd’hui, fantastique demain.

A 24 ans, et maintenant qu’il sait qu’il est capable de briller en Grand Chelem, il doit être plus constant sur la durée, et donc sur une saison entière. Il faut dire qu’en ayant désormais battu Federer sur gazon, Djokovic sur dur et Nadal sur terre battue, Zverev a prouvé qu’il avait les armes, notamment son service, pour battre n’importe qui sur n’importe quelle surface, y compris celle qui convient le mieux à ses adversaires. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’Allemand a été adoubé par Roger Federer qui l’a pris sous son aile en l’emmenant avec lui lors de sa tournée d’exhibitions en Amérique latine fin 2019.

C’est sur le plan mental que Zverev a encore une belle marge de progression. En ce sens, la fin d’année 2020 lui a permis de s’endurcir puisqu’il a réussi à bien jouer (deux titres à Cologne et finale à Bercy) malgré un climat anxiogène particulièrement pesant, sur fond d’accusations de violences conjugales par une ancienne petite amie et l’annonce de la grossesse de Brenda Patea, dont il venait de se séparer. La preuve qu’il gère mieux la pression et les problèmes extra-sportifs. En 2019, lorsqu’il a été confronté à des problèmes juridiques avec son ancien agent, aux problèmes de santé de son père, la fin de sa collaboration avec Ivan Lendl ainsi qu’à un chagrin d’amour, il errait comme une âme en peine sur le court. Depuis, les choses ont évolué dans la bonne direction. Après quatre premiers mois en dents de scie, le voici qu’il vient d’envoyer un sacré message à la concurrence à Madrid.

«Sascha» a bien grandi et il compte bien faire des dégâts à Roland-Garros…